samedi 9 février 2008

秀夫中田 Hideo Nakata

秀夫中田 Hideo Nakata - Ring Two

Barbara Loden

A la fin, Wanda entre n'importe où, c'est-à-dire dans un bar. Il y a les ouvriers, leurs bonnes amies, on voit bien les cheveux blonds de Wanda détachés sur le noir du décor profond et accueillant comme à l'évidence, il n'a pas besoin d'être montré, chacun l'a reconnu, tout le monde l'habite. Indescriptiblement familier.
Il y a les amis qui chantent, zim zoum zim boum zoum, les chemises à carreaux, les sons mêlés comme des promesses d'étreinte, la rumeur dorée du fraternel.
A toutes les tables, on donne à boire et on écluse sans se lasser.
Wanda baisse un peu la tête, l'image s'arrête.

Le bar, cet effrayant paddock où mon prochain toujours s'éloigne.

Nicole Brenez

mercredi 6 février 2008

Vincent Gallo

Vincent, j'aurais pu le connaître à travers Jim [Jarmusch] parce qu'ils habitaient la même rue à New York. Mais la rencontre s'est faite autrement. Je faisais un moyen métrage à New York et je cherchais des personnages. Quelqu'un m'a dit que je devrais rencontrer ce gars-là. Et Vincent est arrivé... Il était peintre, il vendait des guitares de collection, il traversait les Etats-Unis dans sa Toyota pour acheter des guitares, il était musicien, c'était déjà quelqu'un de complet. Quand on lit ses interviews on peut parfois être horrifié, mais Vincent a fait le choix d'être un artiste, quel que soit le prix à payer, y compris celui d'être haïssable.
Quand on rencontre Vincent, qu'on le côtoie un peu, qu'on voit ses choix, quand on sait qu'il est parti très jeune en Italie pour voir la peinture italienne et essayer de rencontrer Pasolini, il est clair qu'il a toujours eu cette exigence. Cette exigence est parfois masquée sous des torrents d'injures, mais elle est absolue. Dans The Brown Bunny, quand tu vois chaque geste du personnage, tu te rends compte que chaque chose doit être faite jusqu'au bout. Durant la projection à Cannes, c'était très dur, j'avais les boyaux fracassés, j'avais peur pour lui. Dans le film, les rencontres avec les femmes, c'est pas la drague, c'est une quête, une quête qui n'est pas médiocre.
Plutôt que d'être moyen ou bon, Vincent préfère être totalement détesté. Il ne veut jamais être dans la moyenne. Un jour, à New York, il refaisait le sol de son appartement. Il y avait des petits défauts alors il avait cassé le plancher, et jour et nuit il refaisait tout ! C'est peut-être de la maniaquerie obsessionnelle, mais il n'y a pas de lamentations chez lui : il casse et il refait. Et après huit jours de travail, il était exsangue, mais le sol était parfait. Sur cette base-là, il pouvait essayer de faire un disque ou un film parfait. Si le sol n'était pas parfait, c'était pour lui un début de renoncement. A ses yeux, rien n'est au-dessus de la démarche artistique, pas même l'amour.

Claire Denis, propos recueillis par Serge Kaganski, les inrockuptibles n°436 du 7 au 13 avril 2004.

mardi 5 février 2008

Dario Argento

Suspiria est-il vraiment, selon vous, le sommet de votre carrière ?

A force de me l’entendre dire, je finis par croire que c’est peut-être vrai. Mais j’aime avant tout les films les plus difficiles à réaliser. Suspiria en fait partie. Ce fut à la fois un défi technique et scénaristique. J’avais notamment décidé de ne pas faire deux plans semblables. Avec le directeur de la photo, nous avons donc élaboré quelque chose comme 2 000 plans et seulement deux ou trois sont comparables. C’est ce qui donne, en partie, cette sensation de vertige que je voulais. Je faisais preuve alors d’un grand enthousiasme dans le maniement de la caméra. Ensuite, ma vie privée est entrée en ligne de compte dans le film.

Quels autres films ont été autant chargés d’émotions ?

Le Fantôme de l’Opéra m’avait beaucoup touché. Pour des raisons personnelles, mais aussi à cause de coïncidences troublantes. Pendant le tournage, mon père est mort, l’un des acteurs a eu un accident de voiture et il est resté bloqué pendant deux mois. Dans le film, il était question d’un opéra de Verdi, Macbeth, dont tous les mélomanes en Italie disent qu’il porte malheur. Même à la projection, il y a eu une avalanche d’incidents. Pendant qu’on attendait le rétablissement du comédien, on m’a conseillé de changer d’opéra, de prendre la Traviata, comme ça je ne risquais rien. N’importe quoi…

Ces expériences vous ont presque détourné du cinéma…

Ça a déclenché en moi une dépression terrible. Je suis parti pour un voyage en Extrême-Orient parce que j’avais besoin de me perdre. Etre tout seul, sans personne à qui parler, pour que la vérité m’envahisse. Plus tard, je suis resté un bon moment à Los Angeles. Là-bas, j’ai rencontré un vieil ami dans la rue, Alan Jones, un critique de cinéma, qui m’a remonté le moral… et presque sauvé la vie.

Vous faites partie de ces cinéastes dont certains films sont adulés. Comment le vivez-vous ?

C’est un sentiment difficile à définir. D’une certaine manière, les fans ont pris le pouvoir sur mes films. Je les ai toujours fait pour moi, mais dès qu’ils sont terminés, je m’en sens exproprié. C’est la raison pour laquelle, par exemple, je n’ai pas un seul DVD de mes films à la maison. Même pas d’article, rien, sinon des souvenirs. Si des amis me rendent visite et me demandent à voir un de mes films, je les envoie au vidéo-club.
Je suis une sorte d’otage : lorsque je rencontre ces fans, ou même plus généralement le public, je me rends compte qu’ils ne veulent que des choses qu’ils connaissent déjà, toujours la même histoire. J’imagine que c’est pour cela qu’ils sont capables de revoir le même film quatre ou cinq fois consécutivement.

Vous sentez-vous condamné à toujours refaire le même film ?

Surtout pas. Quand le film est fini et qu’il est entre les mains du public, je suis déjà sur autre chose. A propos de ma trilogie, j’ai fait le deuxième film trois ans après le premier, et lorsqu’il a été question de tourner le troisième, j’ai dit non. Je pensais qu’il fallait attendre. Pendant ce temps-là, je suis allé en Amérique, j’ai signé deux films avec ma fille Asia, plus deux épisodes des Masters of Horror. Puis, quand plus personne ne pensait à me demander où en était ce troisième volet, alors j’ai commencé à tourner la Terza Madre.
Mais le film était déjà écrit il y a vingt-cinq ans ?

Oui, en grande partie. Il y avait surtout la même envie de raconter une histoire aux limites de l’impossible. Où la réalité est plus profonde, comme chez Edgar Allan Poe. Poe ne croyait pas aux fantômes, mais il pensait qu’ils étaient intéressants, qu’ils disaient des choses sur la réalité. Moi, je ne crois pas aux sorcières, parce que je n’en ai jamais rencontré. Mais c’est un thème qui permet de faire un grand saut dans l’inconnu, dans l’irrationnel. Plus encore aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans, la réalité s’est enlaidie, alors il faut en sortir.

Entre Suspiria et la Terza Madre, qu’est-ce qui a changé dans le cinéma ?

Les gens qui le financent, surtout aux Etats-Unis, ne sont plus les producteurs passionnés que je connaissais. La plupart détestent même le cinéma. Mais comme ils veulent tout contrôler, ils mettent leur nez absolument partout. Par exemple, je suis un des rares à tourner le film dans l’ordre où il sera monté. Ça, les Américains, ça leur fait peur, juste pour des questions d’argent. Sur Masters of Horror, il a fallu que le monteur intervienne en disant que cette façon de travailler lui convenait, pour calmer les esprits. Après, d’autres metteurs en scène venaient sur le tournage pour me copier. Je raconte ça pour vous dire que, aujourd’hui, le cinéma coûte trop cher. Que tout le monde cherche comment gagner beaucoup d’argent le plus vite possible. Et pour faire quoi ? Spider-Man 3 ou Die Hard 4 ? Ces films-là, ce n’est rien.

Vos projets ?

J’ai des choses en cours d’écriture. Mais depuis que j’ai terminé la trilogie, je me sens un peu seul, abandonné. Ça y est, tout ce que je voulais faire, je l’ai réalisé. Pour l’instant, je suis en manque de lubie.


Entretien avec Bruno Icher, publié dans Libération le 27 décembre 2007.

秀夫中田 Hideo Nakata

De la découverte d’une vocation...

Quand j’étais enfant, je pense que je voyais déjà plus de films que la moyenne. Lorsque j’étais au collège notamment, j’étais un très grand fan de François Truffaut. Cependant, ce n’est qu’au cours de ma dernière année à l’université que j’ai décidé de faire du cinéma mon métier.
A l’époque, je participais à un séminaire sur le cinéma, et je voyais environ 300 films par an. Ensuite je suis rentré aux studios Nikkatsu, au sein desquels j’ai travaillé en tant qu’assistant réalisateur sur des roman porno. De là, il semblait assez naturel de devenir moi-même réalisateur ; je pensais que je pourrais le faire au sein de la Nikkatsu, mais c’était une période difficile pour la société et j’ai du attendre un certain temps avant que se concrétise une opportunité.
Jusqu’à ma dernière année à l’université donc, je me contentais de voir des films : cela me satisfaisait et me suffisait. Ce n’est qu’à partir du moment où j’ai été amené à réfléchir à la manière dont les films étaient faits que j’ai eu envie de participer moi-même à la réalisation.

De l’importance de l’amour...

L’amour était un élément essentiel pour développer le drame exposé dans Dark Water : la nouvelle à la base du film est très courte, et j’étais donc bien obligé de développer la relation entre la mère et sa fille pour parvenir à un long-métrage. Néanmoins c’est un sentiment très différent de celui développé dans Ring, puisque ce n’est pas un amour entre un homme et une femme. Dans le cas de Ring, je voulais avant tout faire un film qui fasse peur. La relation développée par le couple divorcé est plus secondaire.
A l’avenir toutefois, j’aimerais faire des films plus "normaux", pouvoir m’attarder simplement sur les relations entre différents protagonistes, ou encore l’amour qui unit deux personnes.


D’une conception du film d’horreur...

Je ne pense pas faire des films d’horreur qui diffèrent vraiment des films occidentaux, en matière de conception de l’horreur. Un film comme La Maison du diable de Robert Wise, par exemple, est un film qui ne s’attarde pas vraiment sur le quotidien, mais parvient à faire peur sans jamais montrer de fantôme à l’image. Je trouve qu’il y a une technique, une maîtrise très impressionnantes sur ce film. J’ai aussi été fortement influencé par les films de Carl Dreyer.
Il faut cependant bien faire face à une réalité, qui ne se limite pas à mes adaptations des romans et nouvelles de Kôji Suzuki : il faut montrer des fantômes, c’est ce que les spectateurs attendent !
En réalité, les gens ne voient pas de fantômes au quotidien, pour la bonne raison que ceux-ci sont complètement irréels. Pourtant il faut les montrer, sans que cette contradiction ne soit évidente : mon rôle est donc d’essayer de trouver un moyen de concilier le réel et l’irréel, et le quotidien est un terrain qui s’y prête bien. Dans Ring, c’est Sadako, que l’on voit plusieurs fois dans le film, qui incarne ce lien. Dans Dark Water, c’est cette petite fille qui est morte enfermée dans un réservoir et qui revient hanter son appartement.

De l’influence de Nobuo Kakagawa...

Quand j’ai fait Ring et Ring 2, j’ai regardé de nombreuses fois Tokaido-Yotsuyakaidan de Nobuo Nakagawa, qui est certainement l’un des réalisateurs japonais qui m’a le plus influencé. Bien que ce film m’ait vraiment marqué et soit à mes yeux l’un des chefs-d’œuvre du film de fantômes, il m’est difficile d’expliciter exactement ce en quoi il m’a inspiré pour Ring et Ring 2.
Alors que Sadako dans Ring est certainement plus un démon qu’un fantôme, je pense que Mitsuko, la fillette de Dark Water, ressemble beaucoup au fantôme de Tokaido-Yotsuyakaidan. Celui-ci met en scène une femme qui a été assassinée et revient se venger ; ses victimes sont déterminées, et elle est inoffensive pour des gens qui n’ont rien à voir avec la tragédie qu’elle a vécue.
Même si dans Dark Water l’héroïne et sa fille emménagent dans cet appartement un peu par hasard, ce n’est finalement pas complètement un hasard si le fantôme de Mitsuko s’attaque à elles. Dans ce rapprochement avec l’œuvre de Nakagawa, je pense que Dark Water développe une forme d’horreur plus traditionnelle que celle explicitée dans Ring et Ring 2, qui est à la fois plus moderne et plus universelle."


Propos recueillis par Sancho Does Asia le mardi 28 janvier 2003.

Monte Hellman

You got your start back in the late Fifties-early Sixties with Roger Corman, alongside people like Peter Bogdanovich, Jonathan Demme, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, and Jack Hill. Can you give me an idea what that was like, and how you came to be involved?

I was producing and directing in the theatre in Los Angeles, and Roger was one of the investors in the theatre I was at. We got evicted, as it happened, when they decided to tear the theatre down and turn it into a movie theatre. Roger made a comment that I should look at that as the handwriting on the wall, so to speak, and take it as a sign to start working in films, and he offered me a movie.

How do you view those early works looking back today?

Well, I'm embarrassed by The Beast From Haunted Cave just because when I see it I just see my total, ah, ignorance at the time and just a lack of knowledge of the medium. So that's an embarrassment, but not because of the kind of picture it was or the situation with Corman but just because of my own lack of experience. I think very fondly of the days on The Terror and a whole series of other pictures that I did pieces of -- that experience was terrific because I really had my own unit and I was able to produce, write, and direct some stuff that I thought was very creative. And it was a great learning experience.

What were those "pieces" of films you did?

Oh, there was a whole series. I actually added some scenes to Beast From Haunted Cave as well as Last Woman on Earth, Creature From the Haunted Sea (which was a remake of Beast From the Haunted Cave), and Ski Troop Attack.

Beginning with The Wild Ride (1960) you began a working relationship with Jack Nicholson which continued for some time. How did that come about?

We became friends on The Wild Ride, and we ended up writing a script together which Corman was supposed to produce but he ended up changing his mind and instead offered us the chance to do a pair of Westerns in Utah [Ride in the Whirlwind, 1965; The Shooting, 1967].

Were the Westerns that you did in the mid-Sixties something you were eager to do or were they more something you were saddled with?

Well, we didn't ask to do the two Westerns -- that was Corman's idea -- but it happened to be something that I was very fond of. I was a big fan of Westerns all through my formative years, and I was a great fan of The Lone Ranger serials when I was growing up.

Those early Corman years were an amazingly fruitful time for so many young filmmakers who are now some of the most respected and influential artists of our time. What was it about Roger Corman that drew so many young maverick directors to him?

Well, I think it wasn't just directors. Roger was (and is) an extremely bright guy, he's a Rhodes scholar, he was an engineering student at Stanford University, he's just absolutely one of the brightest people I've known in my life. Like a lot of bright people -- not all, but a lot of bright people -- he wanted to surround himself with other bright people. Roger wouldn't even consider anybody for his personal assistant or secretary unless they had a Phi Beta Kappa key. He had these kind of prejudices in favor of intelligence, and so he hired a lot of bright people to work for him in every department including filmmakers.

Was it ever intimidating working under the time and budget constraints that Corman is known for?

Not intimidating, but it was a challenge. I enjoy that kind of challenge. I kind of did my training in summer stock, and that was far more harrowing an experience than anything I ever did with Corman.

To this day, Two-Lane Blacktop is the film you're best known for, and rightly so. That said, the film pretty much sank without a trace when it was released in the summer of 1971 despite having been nominated "Film of the Year" by Esquire magazine, which also ran a cover story in their April issue. What happened?

It was very simple. The sales department at Universal was very enthusiastic, and they thought they had something they could really sell. I think they had it in more theatres than any other picture in Universal's group of films for the year. There was just a tremendous kind of advance hype on it. What happened was that Lou Wasserman, who was then head of the studio, saw the picture and literally hated it. He just was offended by it. I don't know whether it was just his personal taste or whether it was that this whole group of pictures that Two-Lane Blacktop was part of --

What group was that?

There was a group of five pictures that one of the Universal executives at the time had under his wing to produce. There was a Milos Foreman picture, a Frank Perry picture, there was a Dennis Hopper picture, and I think Peter Fonda had one of them, too. What had happened was that Wasserman had agreed to produce these pictures through Universal but really didn't believe in them and really wanted to kill the whole program. And so he didn't promote any of the pictures and in particular Two-Lane Blacktop. It opened in New York City on July Fourth weekend without one single newspaper ad. People didn't even know it was playing. The excuse was that it was Fourth of July weekend and nobody would be in town, so what's the point in advertising? But then if nobody's going to be in town, then why open the picture?

It's not your standard summertime guys-and-cars film, either. It's a very stark, lyrically macho, combative kind of thing that's going on in the film, between Dennis Wilson and James Taylor and Warren Oates, you know? Like a postmodern Western of sorts. It's not American Grafitti. How much of that verbal and emotional taciturnity came packaged in the script [by Will Corry, later by Rudy Wurlitzer] and how much of it came from you?

The script that I was given bears no resemblance to the movie. Rudy Wurlitzer had not yet been involved -- it was a Will Corry script that had been bought by, not Universal but by another studio, for producer Michael Laughlin. He asked me to direct it, and I said that I would, because I liked the basic idea of it, but I said I would only do it if I could hire somebody else to do a new screenplay. And he agreed and we found Rudy, and I worked alongside him while he was developing the script. It was exactly the movie that I wanted to make, and I was really excited to be working on it.

How did you select James Taylor and Dennis Wilson, a pair of musicians, for the two leads?

I saw James' picture on a billboard on the Sunset Strip and asked to have him come in and do a screen test. Dennis Wilson was the last actor to be cast and we saw just, you know, hundreds of people before him.

What was it about Wilson that caught your eye?

I think just that he had lived that role, that he really grew up with cars. It was almost as though he were born with a greasy rag in his back pocket.

How much of an influence did the Sixties have on your directorial style? So many of your films -- from Two-Lane Blacktop to the spaghetti Western of China 9, Liberty 37 to the so-called "existential" Westerns you did with Nicholson early on -- seem to be saturated in that sort of rebel ideal that we've come to identify with that decade. Was that always in you or was it a sign of the times?

I think my formative years as a director really were the Fifties. Maybe somewhat into the Sixties, but I think I was very influenced by the films that I saw in [the Fifties] such as A Place in the Sun and by directors such as George Stevens, John Huston, Carol Reed, and by some of the New Wave and some of the Italian directors of the early Sixties.

Warren Oates was a Hellman regular up until his death in 1982. How did that relationship come about?

I had seen him in a production of Cuckoo's Nest at the Player's Ring Theater in Los Angeles, and he was also a friend of Nicholson's. I think it was remembering him from Cuckoo's Nest that made me think of him for The Shooting, which was the first time we worked together. I remember there was a book store in Beverly Hills called Martindales and I was in there one day and -- sometimes I just get "flashes" -- and I got a flash of Millie Perkins and Warren Oates and Will Hutchins. I thought of all three of them in one flash, they didn't just come to me one at a time. I was so excited that I ran out of the bookstore and called Jack to tell him my idea and he called Warren.

Do you have a personal favorite amongst your films?

I think it's always the one I'm about to do.

And what are you about to do?

I'm about to do a picture called The Pay Off. That's going to be done in Austin and should be shooting in August. It's a romantic adventure thriller in the manner of The Getaway.

How did you become involved in producing Reservoir Dogs?

The script had been sent to me with the idea that I might be interested in directing it, and I was. I was very excited about it. A meeting was set up between me and Tarantino and the day we met he had sold the script of True Romance and he decided that he had the ability to hold out to direct Reservoir Dogs himself. He said he admired me and admired my work, but he hoped I would understand, and I did. I was so impressed with him, and he just oozed this kind of authority that I said I thought he'd probably do a terrific job, and if there's anything I can do to help, I would. And so I did.

What's the most important thing about being a director to you? If you could sum it all up at the end of the day, what's it all about?

[laughing] Oh god. That's like saying "Why do you live?" I've been in love with the movies as long as I can remember. I went to see my first movie when I was four years old -- I wish I could remember what it was -- but, you know, I've always lived in this dream world that's been stimulated by this wonderful medium and I think it's a tremendous privilege to be able to play with it, and to experience it, and to add my own manufactured dreams to the others that I've been living with right along.

Entretien avec Marc Savlov réalisé le 10 mai 2000 pour Austin Chronicle

秀夫中田 Hideo Nakata

Le remake de Dark Water, par Walter Salles, vient de sortir en France. Avez-vous eu, à un moment ou à un autre, l’opportunité de le réaliser ?

Pas vraiment. Je suis allé voir les producteurs, et j’ai lu le scénario. A un moment ils étaient intéressés pour m’avoir en tant que réalisateur. Nous avons parlé du choix de l’actrice principale, et j’ai dit: "Jennifer Connelly, il faut que ce soit elle!" (rires). Après m’avoir rencontré, ils ont ensuite vu Walter Salles, et l’ont finalement choisi. Ils m’ont expliqué qu’ils aimaient tant mon film, qu’ils ne voulaient pas modifier le scénario, et que j’aurais, du coup, l’impression de me répéter. Voilà ce qui s’est passé, et nous en sommes restés là.

Avez-vous vu le film, ainsi que l’autre remake réalisé à partir de Ring par Gore Verbinski, Le Cercle ?

J’ai vu Le Cercle, et j’ai beaucoup aimé. Il y a quelques petites choses un peu trop similaires mais je sentais que le film allait avoir le succès qu’il a d’ailleurs remporté aux Etats-Unis et ailleurs. Parce que Gore a su recréer ce sentiment d’inquiétude, cette atmosphère. J’ai quelques réserves sur Samara, le fantôme, mais j’aime son traitement de l’histoire. Je pensais vraiment que ça allait marcher. Il y a une scène que j’aime plus particulièrement, qui est, à vrai dire, ma préférée, c’est celle de la traversée en ferry vers l’île. Naomi Watts s’approche du cheval, qui devient fou, part au galop, et finit par se suicider. Cette scène m’intéresse parce qu’elle a quelque chose de bizarre, d’étrange, qu’elle n’est pas naturelle. C’est quelque chose qui ne devrait pas arriver, et ce passage parvient à capturer ce sentiment de malédiction, un symbole annonçant ce qui va arriver sur l’île. Gore a apporté un vrai soin à cette scène, qu’il a tournée en une semaine, là où je n’aurais passé que deux heures dessus (rires). La seule chose qui me pose problème, c’est que l’histoire est sensée se dérouler sur sept jours, avec une véritable notion de compte à rebours. Pour moi il y a un problème de rythme, on ne sent pas vraiment le temps s’écouler, ce qui était important car il est question de survie, et de la tension que cette quête implique. Les deux derniers jours sont très longs là où, selon moi, le film aurait dû aller de plus en plus vite, et il ne faut pas que le public perde de vue cette idée de temps qui presse. Pour ce qui est de Dark Water, je l’ai vu il y a quelques temps. Walter est un véritable artiste, et il aime vraiment la réalité. C'est-à-dire qu’il y a une approche très réaliste dans le film. J’aime la prestation de Jennifer Connelly, j’aime la relation qu’elle entretient avec sa fille, et le décor était particulièrement bien choisi. Pour moi, le problème vient du fantôme. En effet le fantôme de la petite fille ne ressemble pas tellement à un fantôme, juste à une petite fille (rires). Je comprends cette approche, qui veut que le fantôme ait quelque chose de très humain, banal, mais dans le genre horrifique, il faut faire avec des événements surnaturels, faire appel à l’imaginaire, c’est un équilibre qui manque dans le traitement de ce fantôme-là. Mais j’ai aimé l’atmosphère, la photographie…

Dark Water est un film qui traite de la maternité, avec notamment l’eau comme un symbole féminin fort. Avez-vous jamais envisagé que cette histoire puisse être racontée d’un point de vue masculin, est-ce qu’un film traitant de la paternité aurait été complètement différent ?

Alors effectivement ça aurait été parfaitement possible. Mais dans le genre de l’horreur, ce n’est pas une véritable règle, mais si vous avez d’un côté une mère célibataire et son enfant, un père célibataire et son enfant, et en face, le fantôme d’une petite fille, à la recherche de quelqu’un… Vous savez, je ne veux pas être sexiste, mais généralement, le public pensera que le père pourra protéger son enfant contre une puissance surnaturelle, là où la mère sera plus vulnérable, exposée. Ça peut paraître un peu misogyne mais je pense que c’est une réaction naturelle de la part du public. Et puis quand il s’agira d’un fantôme adulte, il ne faudra pas qu’on croit qu’il est là pour séduire le père (rires). Bref, ce n’est pas une règle mais c’est ainsi qu’on a voulu procéder.

En voyant Dark Water, il y a des éléments qui rappellent le cinéma de Mizoguchi, ses thèmes ou ses figures. Le personnage féminin fort, sa souffrance et sa solitude dans un univers très masculin voire macho, le contexte social difficile, le ton tragique apporté à l’histoire.

Quand j’étais cinéphile, plus jeune, un peu comme vous, Mizoguchi était mon héros. J’adore sa façon de peindre des personnages qui se battent pour leur survie, appartenant souvent aux classes les plus basses de la société, comme ses personnages de prostituées. Je pense que tout cela a à voir avec son background personnel. Il a été élevé par sa sœur, qui était également geisha je crois, il connaissait les gens dont il a parlé ensuite. J’étais différent. Ma mère était institutrice, et j’ai été élevé seulement par elle, ainsi que ma grand-mère. Je n’ai écrit ni Ring ni Dark Water, mais étrangement on y retrouve des personnages féminins forts qui sont des mères célibataires. Je ne dis pas qu’il s’agit de ma mère dans ces films, mais dans le traitement, il doit y avoir des points communs apportés de façon inconsciente. C’est une très bonne remarque en fait, pour moi des réalisateurs comme Mizoguchi, Naruse, ce sont des géants. Et mes films peuvent sembler complètement différents. Mais… vous vous souvenez de l’épilogue de Dark Water ?

Oui, lorsque la lycéenne revient dans son ancien appartement…

…et elle avance, puis se retourne, est sur le point de partir, et elle entend le bruit d’une goutte d’eau. Elle se retourne, et voit le fantôme de sa mère. Et elles commencent une conversation. En filmant cette histoire, et ce passage, j’ai pensé aux Contes de la lune vague après la pluie. Vous vous souvenez de la partie finale, où l’homme rentre chez lui, et voit son épouse qui tient, dans ses bras, leur enfant. Il court pour annoncer son retour dans le village, la caméra effectue un mouvement à 360°, et quand il revient dans sa maison, sa femme a disparu car elle n’est plus qu’un fantôme, après avoir été assassinée par des soldats, sur la route. Vous savez, c’est une technique très simple, Kinuyo Tanaka, l’actrice qui interprète la mère, s’est juste cachée au moment voulu (rires). L’émotion du fantôme est là, puis disparaît, simplement. Dans Dark Water, c’est une sorte d’hommage. A vrai dire je n’ose pas penser à Mizoguchi car c’est vraiment quelqu’un de trop grand pour moi. Mais ça reste une remarque très juste ! (rires)

La plupart des vieux films de fantômes japonais sont souvent des contes moraux, avec un pécheur et son châtiment, le tout situé dans un Japon rural. Aujourd’hui le décor est beaucoup plus urbain, le fantôme est high-tech (il sort de la télévision, se balade sur le net), il exprime un sentiment de solitude… Que pensez-vous de cette évolution, que signifie t-elle selon vous ?

Pour prendre un exemple, avez-vous vu Le Fantôme de Yotsuya, de Nakagawa ? Cette histoire est un conte moral typique, avec un personnage qui cherche à progresser socialement, et qui en vient à tuer sa femme, avant d’être hanté par son fantôme et de finir par se suicider. Aujourd’hui il y a un aspect moral également, dans le personnage de Sadako, qui est une victime et qui a été abandonnée, mais la différence vient du fait que Sadako peut tuer n’importe qui, même des personnages qui n’ont rien à voir avec ce trauma passé. Dans les histoires de fantômes classiques, il y avait une question d’éthique. Aujourd’hui, les jeunes se fichent plus ou moins de cette morale-là, qui est devenue un peu un cliché, avec ces histoires de vengeance répétées à l’infini. L’idée, dans l’approche moderne du genre, est d’impliquer davantage le public. J’avais envie qu’il se demande ce qui se passerait s’il voyait la vidéo maudite. La télévision, le magnétoscope, ce sont des choses qui appartiennent tellement au quotidien… Et lorsqu’on éteint la télé, l’écran est noir, mais reflète ton visage si tu te regardes dedans. A priori rien d’anormal mais il fallait créer cette hésitation. Le fait que Sadako puisse tuer n’importe qui a marché sur un jeune public qui n’était plus sensible aux anciennes histoires et leur morale, où les punis étaient des pécheurs. Je suis une bonne personne, mais puis-je être tué par Sadako ? Il y a une différence ici, un sentiment de paranoïa. Mais personnellement, j’aime ces vieilles histoires, peut-être que je n’appartiens pas à la jeune génération (rires).

Sept ans après Ring, comment se porte le cinéma d’horreur japonais, y a-t-il, selon vous, de nouveaux talents ?

J’ai bien peur de ne pas être la bonne personne pour répondre à cette question, car je vis à Hollywood depuis deux-trois ans, et c’est vrai que, là-bas, je n’ai pas tellement vu de films d’horreur japonais. A part celui de Takashi Shimizu. (réalisateur de Ju-on et de son remake américain, The Grudge, ndlr)

Durant cette Carte Blanche, vous avez parlé de l’influence de Nobuo Nakagawa sur votre cinéma. Vous avez choisi des films très divers, quels autres réalisateurs vous influencent-ils le plus ?

Je ne peux pas dire si ce film-là ou ce film-ci m’a influencé dans l’absolu, par contre quand j’ai travaillé sur Chaos, j’ai revu Sueurs froides par exemple. Généralement, mes réalisateurs préférés ont œuvré dans le mélodrame. George Cukor, Max Ophüls, Jean Renoir, François Truffaut, mais je ne sais pas à quel point j’ai été influencé par leur travail. Quand je travaille, que je cherche à obtenir quelque chose en particulier, je vais voir chez Hitchcock, dans La Maison du diable de Robert Wise, Les Innocents de Jack Clayton…

Entretien réalisé par Nicolas Bardot à Paris, le 9 septembre 2005, pour Filmdeculte.

Vincent Gallo

Is this a different film from the one screened at Cannes?

No, the biggest differences of the movie are as follows: I put a six minute song at the end over black to sort of DJ the crowd out of the theater, to sort of control even the end of the film – meaning the exit of the film. I forgot that people stay and they do these things, but I wanted to control the mood after people digested the film with a song, with a piece of music.
And then I took off about a four minute credit off the beginning of the film, which was the sort of people involved – Kinetique, Wild Bunch, a couple more names. I was trying to sort of settle the audience. I felt that at festivals people – at the big festivals – they really pay attention to the beginning so I put [something] very provocative. You know, the ‘University for the Development and Theory of So and So Presents’ and I put a big focus thing and a gate thing, because I wanted to make sure everything was perfect, then the film starts.


You took all that down?


All that down. So that’s nine minutes of this 25 minute thing. So we’re talking about, really, another 15 minutes because I’ll tell you, it really was… I really cut about 15 minutes out of the actual movie. And here’s what the 15 minutes were: In March when I agreed to go to the Cannes Film Festival, the film was incomplete. It was even incomplete in its shooting. I hadn’t shot the last scene of the film, which needed to be shot in late April because the film wasn’t supposed to be delivered in January. I had to shoot the last scene in April because it involved a racing scene at Willow Springs Raceway where I was going to go to a race, meet a couple of girls at the racetrack, drive around the track in 1st place at the race, and then deliberately drive off the track into a wall and of course kill myself. Because in the Vincent Gallo world, you have to begin with suicide and then you find a way out of it later on. And that’s what I did with Buffalo 66. Same thing. So I was planning on shooting the scene in April and I needed… To get more time to finish the film, which I needed for reasons I that won’t bore you with – they were technical reasons – to do the 16 mm blow up to 35 mm, I wanted to do it non-linear. Digitally but non-linear. The machine hadn’t been ever used before and it wasn’t ready. Fotokem said it would be ready in April, they changed their minds and said it would be ready in September. So to get that extra time from the Japanese financiers, which was an immediate “No,” I negotiated this thing where I would present the film to Cannes. And just by presenting the film to Cannes, they had to give me the six months. If Cannes took the film, I would show it. If they didn’t, no problem, I still got the six months.
For some bizarre reason, Thierry Fremaux accepted the film in this extremely – now, by the time it went to Cannes it was much closer to being finished, but the version that I showed Thierry didn’t even have the last 40 minutes. I mean, it was just rough sketches of the film. When Thierry said that he was serious about putting the film in Cannes, could I show him at least those last 40 minutes – could I rough them in and show him… The film didn’t have to be finished, could I just show him a complete film, I immediately did something that turned out to be the greatest thing because I was stuck on how I would edit that last sequence. I’d been pounding away at the last sequence. And I just roughed through it and then I took sequences that were going to be used for flashbacks – a sort of tumbling van, a bunny in the road, different things that made this ending, this abstract ending of the film. I sent it to Thierry and he calls me up two weeks – three weeks before they were officially supposed to announce films that were being accepted because he knows that for me to complete it now to go to print, he has to tell me early. He leaves a message on my message, “This is Thierry Fremaux. Congratulations, you’ve been accepted into competition at Cannes.” Which is everything that I’ve dreamed about my whole life up until the day that they rejected Buffalo 66.

Now the concept of the film festival, I had a whole different perception. The last thing that I wanted was the sickest moment in my life because I was… This is what I said: I’m editing in my house and I checked my messages because the phone had rang a couple times on my cell phone. And I checked my messages and, “Hello, this is Thierry Fremaux. Congratulations…” And I go, “F**k, f**k,” and I had an immediate nervous breakdown because I had made this deal with the Japanese and I knew… And I wasn’t nervous about showing the film, I was nervous about the amount of work – not being creatively nervous – about the amount of work that I would have to now put towards now creating an unfinished film. I had to do a fake mix off the edit, I had to finish these final editing tweaks, I had to generate credits, I had to put music down, I had to generate a print, I had to color correct the print. It really took me about three weeks, and it took me out of my place.
The good news was I was able to get the financiers to pay for that, and I was able to do some experimentations that would later aid me to complete the film. Things with the mix, I knew for sure the difference between linear and non-linear was a big difference, and now I’d done this blow up from digi-beta and it just looked awful. I hated it. And I was able to see how certain dissolves would play out and I was able to see my six reels put together for the first time.
When you make a film, you can’t sit there and watch your film from beginning to end because the phone rings, you want to change something, you take notes – you can’t do it. The only way to do it is to organize a screening somewhere for anybody. And you watch it and because there’s other people there, you stay quiet. You don’t do anything and you feel any doubts you have enhance themselves, anything you like enhances itself. You don’t really care what people think. People hated the first screening of Buffalo 66, or they loved one time a screening when I thought there was still problems with the film. But whatever it does, it brings it out of you. It really does… Most filmmakers do that 100 times. With Buffalo 66, I went from the rough-cut to the finished film in a few days of editing. I did the same thing with Brown Bunny. Just a few days of seeing exactly what was wrong.
To answer the question, finally, I cut out a sequence between Utah and Colorado that was about another 7 minutes longer of driving. So from when he gets up in that motel and drives, till he gets into the night and into Bonneville in the morning, there was about 7 more minutes of just landscape and pulling over and putting his sweater on, and washing the car. And when you saw it in the reel on its own, it played beautifully. I will release that reel as a film, as a methodical film of somebody on a journey. It’s just beautiful, it just feels so real. In the film, I felt that it distracted from the film’s continuity. The film’s continuity sort of stalled there for a moment, so I cut that 7 minutes out.
The racing scene used to be another three or four laps longer and I physically couldn’t make it shorter for Cannes because I needed this digital technique later on. I needed a higher resolution scan because one of my cameras – if you notice at the opening of the race, there’s edge fogging. There’s flaring on the edge of the film, sort of distorted film. Then when the bike comes around the first curve, the camera switches to another angle and it stays on that angle the whole time. That’s because my camera broke. The side camera broke, that’s why it’s flaring like that in the first shot of the movie. So I had to use one camera for that whole race. And the way that I made the 15 lap race into an 8 lap race for Cannes, then eventually to a 4 lap race for the final movie, was by high-res scanning and moving in and doing a sort of seamless jump cut. So the race was 4 minutes longer. The Utah scene was 7 minutes, and then there was… I cut one other thing. Oh, the end. I cut off the end. I cut out the fake, ridiculous end.


Do you think it’s a better movie?

There’s one cut of Buffalo 66 that’s 18 seconds longer. I almost locked picture, then I just made one more pass through the film and took out 18 seconds. I can’t bear the 18 second longer version of the film. I can’t bear it. It’s gloomy, it kills me. It’s like a million pins poking me. However, if you saw the 20 minute longer version of Buffalo 66, you would have basically the same reaction to the movie. Some people might argue that there was more there that you’d have missed. If you saw the released version, there would be things that you’d miss. I think that the finished version of Brown Bunny is exactly what I wanted it to be. If I go back and look at the rough cut, it would seem… It would irritate me on some level. Unfortunately, once people get to see it that way, they always tell you what they missed.


If people are only focused on the controversial issues surrounding this movie, especially on the graphic sexual issues, what are they missing?

They’re missing what children miss when they’re in a car traveling to a place they want to go. They’re missing the experience of getting there. They’re missing all the beautiful things that are happening on their way there, and they’re missing the continuity of what the entire trip as a whole means to them. So they’re missing things the way adolescents miss things. If you look at that film without prejudice or hearsay or, even worse, suspicion about why it was made and what my intentions were to make it, then you become unaware of the multi-complex innuendos, narrations, aesthetics, and sensibilities, and concepts, and nuances, and melodramas that happen along the way.
I’m more attracted to the first part of the film than I am the last part of the film. The last part of the film works juxtaposed against the first part of the film, but it’s a more conventional… It becomes slightly more conventional. The part of the film that really engages me, the most beautiful scene in the movie to me is the scene between Cheryl Tiegs and I. I think what people miss if they put focus on the part of the film that they deem exploitive or titillating, they miss the film as a whole. And they certainly misinterpret the scene that encompasses them.


You had that scene blown up on a billboard on Sunset Blvd. That’s a conscious choice in marketing the film and the marketing campaign of ‘the most controversial American film ever made,’ it’s going to define the movie. People can’t help but go into the movie thinking about that.


Well, I’ll respond to that simply by saying I’ve made six posters for the movie. I’ve done all the synopsis, all the trailers, everything. And the line ‘controversy’ had nothing to do with the sex, it had to do with Lisa Schwarzbaum and people saying it was the worst movie ever made. It wasn’t an address to sexuality.
All the other pamphlets and formatting and imagery and text that I presented about the movie is highly intellectualized, highly conceptual, extremely discreet, and extremely conceptual in its aesthetics - in direct relationship to the film itself. The billboard on Sunset Blvd. was a much more broad concept for me. I designed it, I choose it, I paid for it. Okay. It happens in these ways: First of all, it’s the dream of my life since I’m a teenager to have a billboard on Sunset Blvd. because when I’m in LA I don’t watch TV, I don’t read the newspaper, I don’t listen to the radio. I only know about contemporary culture by broad advertisements. But I felt, first of all just as a person, it was a dream sort of to be able to have a billboard and to be able to pick what it was. That said, the billboard itself whatever boldness it has, whatever appeal it had, the intentions were that the appeal would be aesthetic and intellectual. I mean, the only people who would respond to that billboard in a way where they really understood the sensibility of that billboard would be people who were evolved on some level. That was not a mainstream provocateur. I mean, across the street you’d have a Calvin Klein ad where the girl is fisting the boy and her boob is out, and she’s dripping. Mine is in black and white – you can’t really see anything. There’s no boobs, there’s no nipples, there’s nothing. It’s done in a blown out half-tone. The whole billboard has no corporate names, it has no quotes from festivals. It has nothing. It’s done in a style or a tradition of classic adult cinema and the reference is that this film is A) an event – that those actors are substantial. And the purpose was to take away the marginal perception of the film. If people think that this is an art film, it’s offensive to me. They think it’s a self-indulgent, narcissistic film with a sex act. It’s offensive to me.
I was trying to give imagery that would relate to the other corporate advertisements to suggest that the film had a corporate element, or that it was… Certainly that it was not marginal and it was not ‘artistic’ in the classic sense. It was bigger than that. It transcended the Sundance Film Festival, or just the American film with the European ending – or something like that. I didn’t want anything like that and I didn’t want the hearsay to continue without addressing it. I wanted to show that the film was provocative, that it was in this tradition of adult cinema – Last Tango, Midnight Cowboy, whatever. But I wanted to do it on my own terms. I wanted to use provocative images that were beautiful, dramatic, aesthetic, clearly outside of mainstream eroticism.


That billboard was taken from a still from the only version of the film that was censored for the Japanese market only. And that particular still was used in a film that could play to 12 year-old children and up. So what was suggestive and provocative about that billboard was the boldness of the black and white, the gigantic white space, the huge font, and the huge area that said “In Color – X Adults Only.” It was done clearly to up the ante on a creative level, not up the ante on a provocative level.

Why did you make the second half of the movie, if it’s the first half that’s more where you were going?


I didn’t say that I was going for the first half. You said that. I said that the second half and the first half work together well. The first half is more reflective of my…a stronger reflection of my sensibility. But the film as a whole works juxtaposed together. That’s what I said.

I guess the question is why does it have to go there?


Why don’t you just get to the point and just say why did I use sex in the movie? Why ask it in a vague way? Why don’t you just ask me the same dumb question? You saw the film.

I was trying to ask it in the artistic context.


I’m not an artist. I mean, why ask me in the artistic context? I’m not an artist. I have never said once here today that I was an artist. I’ve not given you the impression that I feel entitled as an artist, or that I’m doing things purposely to be avant-garde or to be marginal.
I’m moving toward love and hope and beauty. I’m always doing things that I’m assuming are beautiful and that a lot of people will find beautiful. I’m disappointed and surprised when people don’t find my idea of beauty beautiful. I’m surprised, basically surprised.
I’m not shooting for marginal levels. I’m not shooting to do marginal work. And I’m not motivated by provocative reactions. I mean, to make a movie takes years. I don’t know what you do with your time and how hard you work on your work, but I don’t think you’d sit there and write for three and a half years and give up your house and your career and your money and you’d go bald and go gray and have your prostate blow up, just to provoke people. I think you’d have to be motivated by things that were really part of your interest, what you found beautiful. And to respond to the sex scene to somebody who’s seen the movie in that way, just blows my mind.
I’m using traditional iconic images. Pornography is the ability for somebody to have enhanced sexual pleasure or sexual fantasy free from responsibility, guilt, insecurity, consequence, etc. etc. What I’ve done is taken those icons of pornography and juxtaposed them against responsibility, insecurity, resentment, hate, greed, mourning - together. There’s no way to separate them in my film. There’s no way to look at that scene and be titillated or sexually aroused. People who get off on pornography are revolted just by the kissing scenes because they can’t take the level of intimacy and complex issues surrounding intimacy in that film. The graphic images are used to enhance those sequences.
It’s like none of the things that I’ve ever done in my life have been self-glorifying – ever. Everything that I do is for personal sacrifice. I sleep on a miserably uncomfortable horrible bed because it looks good. For 25 f***ing years I sleep on that horrible bed with that Amish quilt because it looks good. I do everything in my life because I believe… I don’t give a f*** about my body, about myself, about my face, about my reputation, about anything to do with my career. I put the focus on things that I think are important and beautiful. And they transcend me. And my work is much more interesting than me.
To call that film narcissistic or self-indulgent because I multi-task? Do you think it’s fun to work without an assistant? Do you think it’s fun to work without support, a production office? To sit there in a f***ing van with three guys, driving through the desert? A van packed with camera equipment that I have to unload every day, that I have to fix every day, that I have to reload into the van because God forbid one of them should lift one f***ing case on the film? Do you think that was self-indulgent?
Matthew McConaughey does 600 pushups before he does his shirtless scene. I haven’t even worked with a f***ing make-up person in films. You think I made myself look great? Do you think it’s fun to show your c*** in a film for ten billion to scrutinize for eternity? Do you think I get off on that? I was interested in the film for the purpose of the film, and I moved past my insecurities, my self-doubt, my self-hate, my incredible privacy that I value. I pushed that aside to achieve the goals that I had in the movie. And I think they’re very clear in the film. I think if you see that film, it’s clear that my intentions were to create disturbing effects around intimacies – both metaphysical and personal intimacies with this character’s life.

Do I have a big ego? Yes, because I think I know what’s the most beautiful. Am I difficult to work with? Yes, I’m an a**hole. I’m screaming at everybody all the time. Am I controlling? Yes. Am I a narcissist? Please, I don’t even have a f***ing mirror in my house. Give me a break, give me a break. Narcissist?

I didn’t call you a narcissist.


No, but that’s what is said all the time and that’s what’s meant when people ask me why I need the sex scene. I don’t need the sex scene in the film, because I didn’t need to make the film. But that film includes that sex scene. That film as a whole includes that sex scene. It’s not a separate part. It’s not a choice. Does Robert Redford wear the mustache in Butch Cassidy, or doesn’t he? That’s a choice. This film exists as a whole. I don’t compartmentalize the movie like that.
The whole scene involves hyper-intimacy, hyper-focus. You can barely hear them talk sometimes. They’re barely whispering. You’re constantly left feeling that you’re left watching something that you shouldn’t be watching, because you’re not supposed to watch sexuality, really, in a sense. Because you’re supposed to fill your mind with sexuality when you’re having sex. My character in The Brown Bunny cannot fill his mind with sexuality. He cannot because he’s filled with fear, grief, anger, and resentment, and that’s a very unusual portrayal of male sexuality. I’ve never seen it before. It’s not influenced by Two Lane Blacktop or some other stupid movie because it had a car in it. It’s insight that I felt that I had into pathological behavior that I think is common now.
People are extremely compulsive-addictive in the way that they get together. They act out in these ways in grief that I think are extreme. My character seems like a sociopath in this film but he’s very ordinary, and his experience is very ordinary. And I’m sorry that there’s so much focus at arriving at this scene. It was not my intention. I didn’t think that people would go see the movie and be so enthusiastic to see a blow job that they would ignore a whole film. I didn’t want the film ever to be presented that way because I thought we would just release it in another quieter way. Once it blew up…
I made that billboard on Sunset Blvd. I thought that billboard was the most beautiful billboard I’d ever seen in my life. I thought it was unique billboard in the fact that it wasn’t done in the conventional protocol of advertising where a whole bunch of people come in and put their name, and you have to make everybody happy in the film. It was just nice to see something where one person was able to create a more stark, bold billboard. I’m disappointed that I never actually got to see it in person. Very disappointed because they f***ing took it down before I got here.


You never saw it?


No. I was in New York when the billboard went up.

Who took it down?


Regency. The people at Regency, without saying anything. And the publicist had said to me that the controversy had started coming around the billboard. I thought people would freak out at the billboard – I didn’t see it as a smut thing – I thought they would freak out by the style. I’m always in my own…I’m thinking, “Wow, this is so beautiful. I mean, look it. No company names, just this big thing. I hope other actors and directors get off this billing block and this crap. It’s so great to see graphic design without all these things that you have to pander to.”
And then, you know, the publicist calls me, “The New York Times saw the billboard and they want to talk to you about it.” I’m like, “Oh no.” And I said to her, I said, “Listen. Let’s not talk to anybody because they’re going to wind up taking it down.” “Oh no, they can’t take it down because you have a contract.” I said, “I’m just afraid they’re going to take it down. Please, I want to get to LA. I want to see my billboard. I want to see my billboard before it gets taken down.” Then when I was in Chicago, going from Chicago to Minneapolis, somebody calls me and says, “Your billboard’s down.” I found out the billboard had been taken down without any explanation. There [were] no riots. You couldn’t see anything.
Look at advertisements now. Look at CK, look at Gucci, I mean, please! People like porn and eroticism. They don’t like black and white duotones. They want to see clean, healthy, young flesh. Do you think if you were a porno connoisseur that billboard would have turned you on? There wasn’t enough there. It looked like a romance novel cover more than anything else. There was clear hints of sexuality. The postures were clearly dramatic and clearly intimate. It was suggestive that the film was sophisticated in another way. And that’s all. That was the point.
The people who responded to it the most, the people who called me up who have the most evolved taste of my friends, liked that more than anything that I’ve ever done. But they didn’t like it in that way. They liked the boldness of it. They liked the whole odd nature.


Rebecca Murray, About.com

Tenebre

Dario Argento - Tenebre

Gus Van Sant

Après Last Days, vous aviez dit envisager un film plus commercial, produit par Hollywood. Pourquoi y avoir renoncé ?

J'y ai sans doute pensé un moment, mais on ne m'a rien proposé d'intéressant et j'avançais en parallèle sur des projets que je voulais développer à très petite échelle. A une époque, j'étais séduit par l'idée de travailler à l'intérieur du système hollywoodien pour y tenter des expériences, comme le remake plan par plan de Psychose, par exemple, mais je ne raisonne plus comme ça. Je n'ai pas choisi de tourner Paranoid Park pour rester indépendant ou pour creuser une veine expérimentale, mais simplement parce que j'ai été captivé par le roman de Blake Nelson (1). Il me permettait d'approcher ce « parc » où les jeunes font du skate à Portland, un endroit qui m'attire et m'intrigue depuis que j'habite cette ville. Le skate est un univers très singulier, une microsociété d'« outsiders » qui génère sa propre culture visuelle et musicale.

Comme à l'époque d'Elephant, vous avez choisi des acteurs non professionnels...

Plus ça va, plus j'aime travailler avec des non-professionnels parce qu'ils offrent quelque chose de très pur, de très instinctif. Et j'ai toujours été attiré par les jeunes acteurs et l'énergie qu'ils communiquent à mon cinéma. Le tournage est un moment de leur adolescence où ils sont amenés à se révéler. Pour Elephant, j'avais lancé une recherche dans les lycées de Portland. Cette fois, je suis passé par MySpace, c'est le meilleur moyen de rencontrer des ados aujourd'hui. Des ados passionnés.


Pourquoi avoir choisi le chef opérateur Chris Doyle, connu pour ses collaborations avec Wong Kar-wai ?

J'avais déjà travaillé avec lui sur Psycho. J'aime la souplesse et la liberté de son travail. Nous nous comprenons et nous avons pu prendre des risques, nous laisser porter par le mouvement des corps, le rythme, la fluidité des gestes. Nous nous sommes beaucoup inspirés des films de skate, visuellement passionnants.

Propos recueillis par Laurent Rigoulet pour Télérama, publié le 28 octobre 2007

(1) Edité en France par Hachette.

Gus Van Sant

Qu’est-ce qui vous a décidé à adapter le roman de Blake Nelson ?

L’histoire se déroulait à Portland, ville que j’ai toujours beaucoup aimée. Il était question d’un jeune skate-boarder. Cela parlait également d’une situation difficile et particulièrement étouffante, autre point de l’histoire intéressant pour moi.

Avez-vous apporté des modifications au récit, ou à sa structure ?

J’ai beaucoup joué avec la structure de l’histoire. Il y a peu de parties du livre qui ne soient dans le film, mais structurellement, tout a été beaucoup manipulé.

Pourquoi avoir choisi de recruter vos acteurs via MySpace, ce réseau communautaire sur Internet ?

Je pense que c’est ce que devraient faire toutes les agences de casting pour trouver des lycéens, surtout maintenant que MySpace est à ce point répandu. Nous avons fait comme les autres, en essayant simplement de trouver les moyens de convaincre des amateurs de jouer dans le film.

Pourquoi avoir choisi de tourner à la fois en super-8 et en 35 mm ?

Parce que le support du film de skate est le super-8, et aussi la vidéo, et comme nous en utilisions un peu dans notre film, nous avons tourné quelques séquences supplémentaires de skate en super-8. Il est beaucoup plus difficile de tenir une caméra plus grande en se tenant sur une planche, c’est une des raisons. De plus le 35 mm est trop cher pour que les filmeurs de skate l’utilisent. Ensuite, le reste du film est tourné en 35 mm, le meilleur support selon moi.

Vos trois derniers films – Gerry, Elephant et Last Days – reposaient beaucoup sur des cadres et un découpage stables. Votre choix de confier l’image à Chris Doyle est d’autant plus surprenant…

Oui c’est vrai, Chris est connu pour sa cinématographie aérienne et très libre, et non pour ce que l'on pourrait appeler des cadres « stables ». Mais je crois que cela vient surtout de la période Wong Kar-Wai des années 90. Quand il a tourné pour la première fois avec Wong Kar-Wai , les cadres étaient tout à fait stables, mais ils se sont lâchés à mesure que les films devenaient moins conservateurs. J'ai vraiment essayé de pousser Chris dans un territoire instable, un territoire « grand angle », aussi à cause des derniers films de Wong Kar-Wai que j'avais vus, en particulier Les Anges déchus. Mais Chris était un peu circonspect. Nous avons ici autre chose, parfois instable dans l’utilisation du trépied et d’une caméra portable. Il y a beaucoup de styles différents dans le film. Beaucoup de ralentis, ce que j'ai encouragé aussi, inspirés par les derniers films de Wong Kar-Wai. Mais Chris a aussi fait La Jeune fille de l'eau, aux cadres très stables. Le monde du skate n'est cependant pas réputé pour ce genre de cadre, c'est un monde sur roues

Il y a manifestement un travail important sur le son. J’ai entendu dire que certaines séquences, notamment en super-8, étaient plus longues à l’origine. Le travail de post-production a-t-il été particulièrement long et intensif ?

Non, je crois que les séquences en super 8 sont restées pratiquement les mêmes. Peut-être y en avait-il au départ un peu plus. Le son, aussi détaillé qu’il puisse paraître, est surtout fait de paysages sonores, c’est l’œuvre de compositeurs. Le travail que nous avons fait dans la manipulation du son est plutôt simple, mais les paysages sonores, surtout ceux d’Ethan Rose, sont assez compliqués. C’est parfois comme si nous mettions des disques tout le long du film – mais des disques de musique peu traditionnelle. La post-production n’a duré que deux ou trois semaines.

Paranoid Park est votre premier film produit par MK2, en quoi cela a changé votre travail ?

Ce fut une très belle expérience de travailler avec MK2 en tant que producteur.

Entretien réalisé par Antoine Thirion (extrait du Dossier de Presse).

Gus Van Sant

Dans deux mois, il quittera Portland pour tourner à San Francisco. Ce sera la première fois depuis cinq ans. Avec Paranoid Park, Gus Van Sant clôt une série de films autour de la jeunesse et de la mort avec – depuis Elephant – Portland ou ses environs pour site exclusif. En décembre prochain, le cinéaste renoue avec sa veine plus mainstream, le temps d’un biopic de Harvey Milk, conseiller municipal homosexuel de San Francisco assassiné en 1978 et dont le meurtre est considéré comme un des actes fondateurs du militantisme gay américain. Sean Penn sera Harvey Milk et Matt Damon son assassin. C’est donc un cinéaste en fin de cycle que nous avons rencontré au dernier Festival de Cannes, où il reçut le Prix du 60e anniversaire pour l’ensemble de sa carrière. Un cycle qui lui a valu une reconnaissance critique et festivalière exceptionnelle, puisqu’Elephant prenait Cannes par surprise en 2003 et que, quatre ans plus tard, Gus Van Sant reçoit un prix honorifique qu’ont obtenu avant lui Chahine, Antonioni ou Visconti après trente ou quarante ans de carrière. Tous ces aléas, ces changements de statuts, ces déménagements soudains aux quatre coins du pays du cinéma (entre industrie lourde et quasi home-movie, Hollywood et MK2 – producteur de ce Paranoid Park) ne semblent pourtant pas modifier en profondeur le comment et le pourquoi de son rapport au cinéma. Ce comment et ce pourquoi, c’est peut-être un certain état d’inconscience. C’est en tout cas l’hypothèse que lance le cinéaste, secret comme un sphinx malicieux, l’œil toujours luisant, une sourire de chat fendillant son visage.


Gerry, Elephant et Last Days étaient tous plus ou moins directement inspirés de faits divers. En adaptant avec Paranoid Park un récit entièrement imaginaire tiré d’un roman, désiriez-vous effectuer un retour vers la fiction ?

Je n’avais pas de plan. Une critique d’un précédent roman de Blake Nelson avait attiré mon attention sur son travail, et le second livre que j’ai lu de lui, Paranoid Park, m’a donné envie d’en faire un film. Cela me paraissait assez simple en termes d’adaptation, puisque tout se déroulait déjà chez moi, à Portland. Il n’y avait presque rien à transposer.

Paranoid Park semble porté par un désir très fort de récit qui était absent des films de la trilogie.

J’imagine que quelque chose dans ma vie appelait ce retour à la fiction. Il y a toujours des éléments biographiques qui passent dans les œuvres : manifestement, Blake Nelson est préoccupé par le divorce – thème que l’on retrouve dans chacun de ses livres. J’imagine que lui-même a vécu dans un foyer éclaté par le divorce de ses parents. En ce qui me concerne, je ne saurais dire ce qui m’a poussé à faire ce film plutôt qu’à reconduire la veine des précédents, mais cela s’est fait très naturellement.

L’année dernière, vous accompagniez la réédition à Cannes de Mala noche, qui était également l’adaptation d’un roman ancré à Portland. Est-ce cela qui vous a donné envie de revenir à une collaboration similaire avec un écrivain de votre ville ?

J’en ai toujours eu envie, mais je n’y suis jamais parvenu. Sur Paranoid Park, j’ai travaillé au scénario seul, et très vite. Cela m’a pris quelques semaines à peine pour donner au récit de Blake une mouture prête à être transposée à l’écran. Je n’y ai pas apporté de modifications considérables, sauf la structure en spirale qui est de mon fait – le roman est très linéaire. Cette structure nouvelle a évolué jusqu’au stade du montage, tout au long duquel nous avons travaillé longtemps sur plusieurs versions du film, où certaines scènes s’inversaient ou se substituaient à d’autres. C’est ainsi que j’ai procédé sur presque tous mes films. C’est en jouant avec la structure, en la manipulant sans cesse, que l’on obtient des choses intéressantes, une certaine musicalité du montage, même dans le cadre d’un récit qui au final paraîtra linéaire. Cela dit, je crois que beaucoup de cinéastes travaillent ainsi.

Prenons le plus beau moment du film, la scène de douche. Saviez-vous dès le départ qu’elle serait au ralenti, saviez-vous quelle en serait la progression, quel travail vous alliez effectuer sur le son, bref que le sommet de Paranoid Park pourrait être là ?

Il est très rare que l’on tourne des scènes au ralenti sans se couvrir en faisant une prise avec un défilement ordinaire des images. Mais dès le stade du scénario, il y avait déjà là quelque chose de l’ordre du climax, même si de nombreux éléments qui participent à la magie de ce plan sont arrivés plus tard, comme les cris d’oiseaux. Le personnage d’Alex pleurait sous la douche et puis s’évanouissait. Mais avant de tourner, vous ne savez jamais vraiment. Il y a plusieurs plans qui figurent dans le film qui auraient pu être plus intenses, comme celui de la traversée du pont. J’ai tendance à penser que dès qu’il y a de l’eau quelque part dans l’image, cela suggère qu’il va se passer quelque chose d’intéressant. Il y avait d’autres scènes de douche dans le scénario, que nous avons tournées, mais toutes ont été évacuées du film parce qu’elles ne fonctionnaient pas. Et puis on a finalement considéré qu’il y avait trop de douche dans ce film (rires).

La scène de la mort de l’agent de sécurité sur la voie ferrée est d’autant plus frappante qu’elle revêt un caractère assez inédit dans votre filmographie.


Vraiment ?

On n’avait jamais rien vu d’aussi frontalement gore chez vous que ce corps coupé en deux qui rampe…

(Il réfléchit) J’imagine que je dois vous donner raison… (rires) Chacun de mes films a sa part de brutalité propre, du meurtre par balles de Drugstore Cowboy à Psycho. Ces éléments violents ont toujours une fonction narrative et ne sont jamais uniquement des éléments de récit. Mais c’est vrai que c’est la première scène d’éviscération de ma carrière… Que le personnage soit sectionné en deux par le train n’était d’ailleurs pas dans le roman original, c’est un ajout de ma part.

La construction de vos scènes doit également beaucoup au montage.

Oui. Ce que je dis pour la structure est vrai aussi pour le contenu des scènes. On joue sur des inversions de dialogues, des mélanges de prises, on allonge, on raccourcit, etc. A vrai dire, l’essentiel du travail de montage consiste en cela : altérer la matière issue du tournage, la faire tendre vers quelque chose de différent afin qu’elle aille dans le sens du film. J’ai déjà observé des gens qui, en salle de montage, demeurent vissés très précisément à ce qu’ils avaient prévu au stade du scénario. Cela, en général, par peur de se détourner d’une certaine idée initiale du film, une ambition originale qui peut pourtant se révéler tout à fait inopérante sur ce qui a été tourné. Mais vous n’aurez jamais idée avant le montage de l’intensité que pourra dégager telle scène que vous aviez pensée comme un creux et qui est finalement un temps fort ou bien l’inverse.

Tout comme pour Last Days, vous avez, pour Paranoid Park, endossé seul les rôles de scénariste, réalisateur et monteur. L’un de vos collaborateurs nous confiait qu’il n’a jamais réussi sur vos tournages à saisir ce à quoi le film ressemblerait au final et qu’à chaque fois vous êtes parvenu à trouver des éléments, un rythme, une dynamique d’ensemble que nul autre que vous n’avait perçus sur le plateau.

Je crois que c’est vrai pour la plupart des tournages. Le travail du réalisateur apparaît assez hermétique à ceux qui en sont les spectateurs, et on est incapable de dire ce qui va se produire. Je me rappelle avoir vu Tarantino filmer Robert Forster dans une cabine d’essayage de centre commercial, sur le tournage de Jackie Brown. Tout ce qu’il lui faisait faire me semblait hors contexte, je ne comprenais pas où cela le menait. Une fois le film achevé, chaque détail faisait sens et trouvait toute son importance. Même lorsque l’on est acteur du film, on a beau connaître le scénario, on ne sait jamais pourquoi le réalisateur prend la décision de déplacer la caméra de telle manière, ou ce qui justifie telle modification de ce qui était prévu. A la rigueur, seul le directeur de la photo, en l’occurrence Chris Doyle (grand chef opérateur de Hong Kong, connu pour son travail avec Wong Kar-wai – ndlr), peut avoir une vague idée de ce à quoi le film va ressembler, parce qu’il a directement prise sur les images.

Vous n’êtes pourtant pas un grand cinéaste du contrôle, vous laissez dans votre travail une grande place à l’improvisation.

Les cinéastes qui surintellectualisent la conception de leurs films et cherchent sans cesse des métaphores ou des signes à envoyer aux spectateurs passent souvent à côté de ce qui pourrait survenir d’intéressant dans le plan. Et, à procéder d’une façon aussi étriquée, on se forge un public qui tente de décoder les intentions du réalisateur en se posant des questions du genre : “La grenouille qui passe au fond du plan ressemble un peu au protagoniste ; et s’il avait par là essayé de dire quelque chose du personnage ?” Les films deviennent intéressants lorsque l’on parvient à atteindre un certain état d’inconscience, qui permet aux choses d’advenir naturellement. Lorsque l’on s’ouvre aux milliers de possibles poétiques contenus par une image, il est beaucoup plus aisé d’en saisir quelque chose que lorsqu’on entreprend de fabriquer la poésie de toutes pièces. J’ai lu une chose assez fascinante à propos de spécialistes des intelligences artificielles qui dédient leurs recherches à la simulation de parties d’échecs. Pour reproduire aussi fidèlement que possible le génie humain appliqué au jeu, ces programmateurs parmi les plus talentueux au monde travaillent précisément à cela : permettre à l’ordinateur d’accéder à cette espèce d’état d’inconscience que je recherche dans la pratique du cinéma. Si quelqu’un me demande sur le plateau quel type d’image je cherche pour tel plan, il m’est très difficile de répondre, parce que les possibilités sont trop nombreuses, de la même façon qu’aux échecs il est quasi impossible de procéder par anticipation lorsque l’on joue face à un joueur génial ou un ordinateur. Quelqu’un qui travaille hors de cet état d’absence dans lequel je m’abîme sur mes tournages peut très bien réaliser des films – bons ou mauvais – mais nous ne faisons certainement pas le même cinéma.


Propos recueilli par Patrice Blouin et Julien Gester 24/10/07 pour les inrockuptibles

lundi 4 février 2008

Dario Argento

Ça vous a surpris de voir Suspiria présenté dans sa version restaurée au festival de Cannes ?

J’ai eu une grande joie lorsque le festival m’a téléphoné pour annoncer la nouvelle alors que je travaillais sur mon dernier film, La troisième mère. Je me souviens même avoir beaucoup ri.

Vous l’avez revu hier ?

Oui (il esquisse un sourire énigmatique).

Qu’est-ce que vous en avez pensé ?

Pour être franc, j’ai été emballé. Non seulement par le travail de restauration mais aussi par l’accueil bienveillant. La première chose que je me suis dit en sortant, c’est que je n’aurais strictement rien touché si j’avais dû le réaliser aujourd’hui. C’est d’autant plus amusant que certains producteurs essayent actuellement de monter le remake du film. Je pense qu’il est possible d’en faire un même si je continue de trouver Suspiria complexe. Tout ce que je peux dire, c’est que ça ne sera pas facile. C’est le même phénomène sur tous mes films que j’ai l’occasion de revoir. Lorsque je les regarde aujourd’hui, je ne suis plus très surpris, je les dissèque comme un entomologiste disséquerait des insectes. Pour la nouvelle copie, je voulais à tout prix que les couleurs soient retravaillées afin de récréer cette impression de contrastes. Je désirais également ne pas en dénaturer l’esprit en ajoutant des effets. A l’époque, je me souviens avoir lutté pour réaliser un film comme celui-ci et je tenais à ce qu’il ressemble à ça. Et rien d’autre. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. La vraie raison, c’est que je ne revois pas mes films. Quand il est achevé, il appartient au spectateur. Je n’ai plus de regard à apporter. Chaque film ressemble à un chapitre et je ne fais que tourner des pages. J’ai souvent des amis qui me disent qu’ils viennent de revoir l’un de mes films à la télévision. Récemment, c’était le cas de Phenomena. A force, ils finissent par mieux le connaître que moi. En revanche, je prends toujours plaisir à revoir les œuvres des autres, de Romero notamment. Quand je l’ai revu hier, je me suis impressionné en me remémorant soudainement l’état dans lequel j’avais tourné ça. Le pouvoir de ma mémoire a tout éclaboussé.

Est-ce que vous avez été tenté d’utiliser des scènes coupées pour la nouvelle version ?

A l’époque, je ne coupais rien. Je préférais mourir plutôt que couper. Cela ne signifiait évidemment pas que j’avais une totale liberté. Je me rappelle qu’à chaque fois que je terminais un film, il allait immédiatement au bureau de censure pour que les censeurs le triturent. Ils voulaient soit interdire soit couper. Et rien d’autre. Comme j’étais rebelle, je refusais tout compromis et je préférais à la rigueur qu’ils m’interdisent. J’ai trouvé cette pratique inacceptable. En Italie, on n’avait pas la liberté de faire un film. Il faut arrêter de croire que le cinéma a quelque chose de scandaleux. Imaginez un peu qu’on interrompe un rêve ou un cauchemar. Les premiers spectateurs savaient très bien ce qu’ils allaient voir. Ils admiraient et réclamaient un cinéma surréaliste. Pour moi, Suspiria se situe hors du réel, ne serait-ce que par son rythme dilaté. J’ai toujours voulu faire des films qui collent ou reflètent ce qui se passe dans mon subconscient. C’est pour ça que les gens m’ont toujours considéré comme un fou. Personnellement, je considérais ça comme un don de pouvoir explorer mes rêves et mes souvenirs. Sans doute, je cherchais à donner une réponse à mes cauchemars. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de très normal. A l’époque, j’avais une technique déroutante qui s’approchait de l’écriture inconsciente en évitant de penser en amont aux scènes que j’allais tourner. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’instinct: je pense une scène sur le moment et je la réalise aussitôt. Comme si j’étais possédé par un ange noir qui m’ordonne de tourner cette projection.

Les spectateurs l’ont immédiatement adopté ?

J’ai reçu un bon accueil partout où je présentais le film. Notamment en France; et, c’est pour cette raison que ça m’a fait chaud au cœur de venir le présenter trente ans après sa sortie. Le film a coûté très cher, l’argent du budget est quasi-intégralement passé dans les effets spéciaux. Je ne sais pas si j’aurais ramé autant si j’avais eu l’opportunité de réaliser ce film aujourd’hui aux Etats-Unis. Les films d’horreur qui sortent là-bas sont souvent de très bonne qualité. J’ai participé aux épisodes des Masters of Horror et j’étais le seul à ne pas être américain. Apparemment, Jenifer aurait été le dvd de la première saison le plus vendu de l’année. Ce que je retiens de cette expérience, c’est une liberté paradoxale. Les producteurs avaient suffisamment d’argent pour me laisser faire ce que je voulais. Je n’avais pas de contrainte. J’ai été accueilli comme un prince.

Avant de réaliser Suspiria, vous aviez beaucoup voyagé pour stimuler votre imagination.

Avec Daria Nicolodi, nous sommes allés aux quatre coins de l’Europe pour nous imprégner des lieux, en France, en Allemagne. Et, surtout, rencontrer des ésotéristes, des soi disantes sorcières, des magiciens fous. Nous étions comme des enfants qui écoutaient des histoires à l’école. Rien n’était réel dans tout ce qu’ils nous racontaient mais ça nous fascinait. Vous êtes toujours fasciné par le mythe de l’alchimiste? J’aime beaucoup l’idée que l’on puisse changer la réalité. Les cathédrales ésotériques de Fulcanelli étaient une référence majeure pour le suivant Inferno. Dans Les trois mères, il y a des restes de ces sciences occultes et de références alchimiques.

Vous avez immédiatement voulu faire une trilogie autour des trois mères ?

Non. Je me suis essentiellement renseigné après Suspiria sur l’histoire des Trois mères. J’ai réalisé Inferno ; et, ensuite, j’ai attendu longtemps avant de mettre en scène le troisième épisode. Cette attente est essentiellement due à cause du casting car je voulais absolument qu’Asia en fasse partie. Depuis qu’elle est enfant, Asia est habituée à mes films. Loin d’être traumatisée, elle me félicite quand je réussis à provoquer une sensation viscérale.

Vous retrouvez Udo Kier dans Les trois mères. Est-ce que le rôle sera proche de celui qu’il jouait dans Suspiria ?

Non. Dans Les trois mères, il incarne un prêtre exorciste. Cette corrélation est très belle. Il a une classe inouïe avec ses yeux bleus et son visage atypique. Je l’ai suivi tout le long de sa carrière jusque dans ses prestations dans les films de Lars Von Trier. Je l’ai connu en Italie alors qu’il tournait sous la direction de Paul Morrissey et Andy Warhol. Nous nous sommes revus en Allemagne quelques années plus tard et nous avons noué une amitié. Dans Suspiria, il y a par ailleurs une référence à l’expressionnisme avec la présence de l’acteur Rudolf Schündler qui avait joué dans Le Testament du Docteur Mabuse, de Fritz Lang. C’était un grand honneur de l’avoir dans mon film. J’ai toujours été fasciné par cette mouvance esthétique. Que ce soit le metteur en scène, la photo ou les acteurs, ils évoluaient tous dans une époque fantastique voire fantasmée. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à réaliser Suspiria en Allemagne.

Parmi vos influences, vous citez souvent L’année dernière à Marienbad, d’Alain Resnais. Ce film continue de vous hanter ?

C’est certainement le plus beau film que j’ai vu de ma vie et il le restera encore longtemps. C’était l’une des premières fois où je voyais au cinéma la représentation parfaite de ce qui se passe dans l’inconscient et le rêve. J’ai toujours construit mes films comme des rêves, peut-être sous l’influence de Resnais. Peut-être pas. A chaque fois que je le revois, j’en ai la chair de poule.

Propos recueillis par Romain Le Vern pour dvdrama à Cannes, mai 2007

dimanche 3 février 2008

Vincent Gallo

Vincent Gallo - Touble Every Day de Claire Denis

Dario Argento

On vous demande souvent de définir la peur...

La peur n’est pas la même pour tout le monde. J’avais une tante qui savait très bien raconter les fables. Les histoires qu’elle m’a raconté, ainsi que les livres que je dévorais dans la bibliothèque de mon père, sont les principaux évènements de mon enfance, ceux qui m’ont permis de connaître le côté obscur de la nature humaine, son côté maléfique, sauvage. Mes films racontent souvent des histoires terribles, des traumatismes épouvantables. Pourtant, j’ai eu une enfance sereine.

Votre amour pour le cinéma s’est d’abord manifesté par le biais de la critique...

Quand on débute, on ne fait pas le critique mais le collaborateur. Pendant presque deux ans, le critique du journal Paese Sera,.avec qui je collaborais, est tombé malade, et je l’ai remplacé. La politique du journal me conditionnait énormément. Si mon article ne correspondait pas aux goûts de la critique officielle, on me réprimandait. Parfois, je trouvais dans mon casier une lettre du directeur qui me disait: “J’ai lu les autres journaux, nous ne pouvons pas être les seuls à défendre ce film”. J’aimais beaucoup le cinéma de genre, les films d’aventures, les thrillers, les westerns. et je détestais voir ces films dits “engagés” qui plaisaient tant aux critiques de l’époque.

A quel point l’écriture a compté dans votre formation de cinéaste ?

La critique m’a permis de voir de nombreux films, mais l’écriture scénaristique m’a aidé davantage. Enfant, j’ai lu une interview d’Alberto Moravia, où il disait que le matin, il se mettait à son bureau à 9 heures, puis arrêtait à 13 heures, reprenait à 15 heures et continuait jusqu’à 18 heures. L’écriture est une profession dont il faut s’approprier la technique. Quand j’ai commencé à écrire pour un journal de cinéma (L’Araldo dello spettacolo ndr) on m’a demandé une légende de 3 lignes sous la photo d’un film. J’ai commencé à écrire cette légende le matin et le soir je n’avais toujours pas fini...

Vous dites adorer l’écriture et détester le tournage. Pourquoi avoir choisi de devenir réalisateur ?

Pour défendre mes scripts. J’ai souvent été déçu par les films qui en étaient tirés. Je finissais par ne même plus aller les voir. L’Oiseau au Plumage de Cristal m’avait été inspiré par le livre The Screaming Mimi de Fredric Brown, et je pensais n’avoir jamais écrit une aussi belle histoire. J’ai démarché auprès de producteurs qui ne me proposaient que des réalisateurs qui ne me convenaient pas. J’ai donc décidé de le réaliser moi-même. Mon père Salvatore, lui aussi producteur, a finalement demandé à lire le script, et s’est écrié : “Il me plait... Essayons de le produire”. Nous avons donc créé la société SEDA (SE pour Salvatore et DA pour Dario), et trouvé un distributeur (Lombardo).

Votre monteur était déjà Franco Fraticelli, que vous retrouverez dans Le Chat à 9 queues, Les 5 journées, Profondo Rosso, Suspiria, Inferno, Tenebrae, Phenomena, Opera.

Je voulais que Fraticelli respecte le film que j’avais tourné, mais au début, comme les autres, il a pensé qu’il aurait à travailler seul. Il m’a dit : “Je monte seul et ensuite tu viens voir”. Je lui ai répondu : “Non ! J’ai fait un storyboard, et c’est moi qui vais vous dire quoi faire.”. Il regardait le storyboard avec méfiance, mais il a compris qu’il devait le suivre... Je suis fidèle au story-board, mais pas à celui original que j’écris avant de tourner. Il est évidemment remis à jour, selon les lieux, selon le rendu des acteurs. Je réalise un story-board idéal, mais je ne le respecte jamais, car il faut tenir compte de nombreux facteurs. Le week-end, j’adapte le story-board. Le film est pris dans un système économique, il ne doit pas coûter un centime de plus, sinon le tournage peut être arrêté. Il y a les assurances... Sur le plateau tout doit être prévu. J’arrive le matin avec la liste des plans numérotés, et je les efface au fur et à mesure...

Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Ennio Morricone ?

Il était déjà très célèbre, et par amitié envers mon père, il a accepté de composer la musique de mon film. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je lui ai apporté des disques et des cassettes, et lui ai demandé de les écouter. Il s’en est vexé. Les compositeurs préfèrent voir le film nu, de crainte d’être influencés, que leur créativité soit étouffée.

Vous avez choisi de tourner un thriller en une période (1969) où cela n’était pas à la mode dans le cinéma italien (et dans la critique) on aimait beaucoup les films engagés. Malgré le succès public, vous avez payé cher ce choix ?

Pour mon premier film, je ne l’ai pas payé cher, parce que les critiques pensaient que c’était un caprice, une bizarrerie, qu’ensuite j’aurais suivi le droit chemin. Quand ils ont compris que je continuais sur la même route. Ils ne m’ont pas laissé de répits…

D’habitude, vous dites ne pas aimer Le chat à neuf queues. Pourquoi ?

L’oiseau au plumage de cristal avait marché. Et j’ai du tourner tout de suite un autre film. J’ai tenté de réaliser un film plus mouvementé, avec plus d’actions. Après, quand je l’ai vu, le film m’a déçu. Dans certaines parties, j’avais trahi mon idée..

On dit que Quatre mouches de velours gris est autobiographique : vous avez choisi Mimsy Farmer parce qu’elle ressemblait à votre femme, et Michael Brandon parce qu’il vous ressemblait...

Vus les résultats, c’est sans doute vrai. Ce n’était pas voulu. Je ne voulais pas qu’elle ressemble à ma femme, et que lui me ressemble. Brandon s’est coupé les cheveux comme moi, il s’habillait comme moi. Nous avons été avec ma femme Marisa à une projection de Quatre mouches de velours gris. La projection du film terminée, ma femme m’a dit: “Mais pourquoi me détestes-tu autant ? Tu ne vois pas que tout le monde nous regarde ?” Depuis ce jour-là, elle ne m’a plus adressé la parole.

Dans Quatre mouches de velours gris, vous avez utilisé une caméra très sophistiquée pour la dernière scène…

Dans le scénario, il y avait déjà un ultra ralenti dans la séquence finale. Le film contenait beaucoup d’actions, le final devait, en contrepoids, ressembler à ces deux minutes. J’ai cherché cette caméra et je l’ai trouvé à l’Université de Dresde. D’ordinaire, on l’utilisait pour étudier la fusion métallique, et d’autres choses de ce genre. Elle n’était pas conçue pour le cinéma. La caméra ne contenait pas beaucoup de pellicules, et elle défilait 30 000 photogrammes par seconde. L’extrême rapidité du défilement de la pellicule faisait qu’on ne pouvait pas tourner pendant plus d’une seconde 1/2 à chaque prise. Cela a été un véritable cauchemar.

Vous avez essayé de changer de genre avec Les cinq journées…

Le cinque giornate est un film particulier dans ma carrière. J’avais écrit le scénario, je devais le produire, le film devait être réalisé par Nanni Loy. On m’a poussé à le réaliser. Le film n’était pas fait pour moi. Evidemment, on retrouve certaines de mes obsessions, j’ai été aussi influencé par le cinéma muet, j’ai utilisé des intertitres. Il y a Buster Keaton, Chaplin, les séquences des films des Marx Brothers.

Comment est née l’idée de Profondo rosso ?

Une voyante, qui se trouve dans une salle pleine de monde perçoit une pensée maléfique, une personne mauvaise. Profondo rosso naît à partir de cette petite idée, cette image que j’ai porté en moi pendant longtemps.En France est sortie une copie amputée de 35 minutes par le distributeur....Les distributeurs ont coupé le film sans obéir à un critère précis. Parfois, la censure des distributeurs est pire que la véritable censure. Ils n’ont pas coupé les séquences sanglantes, mais des séquences d’explications et d'autres psychologiques. Heureusement aujourd’hui les Français connaissent la véritable version de Profondo rosso...

Comment s’est déroulé votre première rencontre avec les Goblin ?

J’avais déjà réalisé les 3/4 du film. J’avais demandé au musicien Giorgio Gaslini de me faire écouter des morceaux pour que leur rythme m’inspire pendant le tournage. A part deux morceaux plus intéressants, cela me semblait trop intellectuel. Cela ne convenait pas au film que j’étais en train de tourner. J’ai dit à l’éditeur musical Carlo Bixio que les musiques de Gaslini ne me convenait pas, et que je voulais changer de compositeur. Avec Carlo Bixio, nous avons réfléchi aux différents groupes à la mode, aux grands noms. Il m’a proposé un groupe de jeunes inconnus, qui avait participé à une tournée en Angleterre comme groupe de support des Yes. Ils étaient doués, cultivés et Bixio me fit écouter un enregistrement. Ce fut le coup de foudre. J’ai ainsi rencontré les Goblin. Ils étaient trés sympas. Ils ont écrits plusieurs très beaux morceaux.

Dans ce film, il y a Clara Calamai (Ossessione de Visconti), grande diva des téléphones blancs, dans Suspiria et Inferno, Alida Valli (Le Procés Paradine de Hitchcok) , dans Suspiria Joan Bennett (La femme au portrait de Lang): pourquoi avoir recours à ces grandes divas du passé ?

C’était aussi un hommage au cinéma. Clara Calamai, grande diva, femme superbe. Je voulais une actrice des “téléphones blancs”, et Clara Calamai me semblait celle qui avait le mieux survécu aux ravages du temps. Même si elle buvait beaucoup de vodka, avec du piment... Alida Valli avait interprété Le Procès Paradine de Hitchcock. Joan Bennett avait été la femme de Fritz Lang. Je voulais que toutes deux me parlent de mes idoles. Il parait que Fritz Lang était méchant avec Joan Bennett, qu’il la traitait comme un chien. On raconte beaucoup de choses cruelles sur lui...

J’ai lu des critiques italiennes sur Profondo rosso. Elles sont hallucinantes. On vous traite de fasciste… On a l’impression qu’ils n’ont pas vu le même film…

Ils n’ont rien compris. A un certain moment, il y a des séquences que nous avons tourné dans une partie de Turin qui avait été construit par les fascistes, ils ont donc pensé que j’étais moi aussi fasciste. Comment ont-ils pu penser un truc pareil !... J’étais un militant d’extrême gauche, j’avais fait parti de “Potere Operaio” (l’équivalent italien de “Lutte Ouvrière" ndlr).

Comment est née l’idée de Suspiria ?

C’est un film sur les sorcières. Elles m’ont toujours intéressés. Elles me terrorisaient. Je voulais comprendre ce phénomène, j’ai donc étudié, lu, et j’ai rencontré des personnes qui se disaient sorcières : celles qui utilisent les herbes, qui prédisent l’avenir. J’ai beaucoup voyagé en Italie pour les rencontrer. Il y avait un élément qui revenait souvent : la maison. C’est un thème que j’ai développé dans le film successif Inferno, ou il y a trois maisons : celle de Mater tenebrarum, celle de Mater lachrimarum et celle de Mater suspiriorum. Pour Inferno, j’ai voulu étudier un autre élément qui m’a toujours beaucoup intéressé : l’alchimie...

Les couleurs et la photographie de Suspiria sont extraordinaires. Quelles pellicules et traitements avez-vous utilisé et quels ont été les critères ?

Avec mon directeur de la photographie Luciano Tovoli, nous voulions imiter le technicolor des années 40 et 50, qui avait des couleurs très vives, et qui étaient réalisées avec le tripark. Nous avons tenté de refaire quelque chose de semblable avec les moyens d’aujourd’hui. Tovoli s’est informé : “ Quel type de pellicule utilisions-nous à l’époque ? On utilisait une pellicule à trés basse sensibilité, cela nécessitait une trés forte illumination. La gelatine était donc très épaisse. Le grain disparaissait, était plus compact. Les couleurs avaient ainsi une force incroyable. Nous avons tenter de refaire le système qui s’appelait tripack où il y avait trois pellicules, avec les trois couleurs fondamentales, qui tournaient dans la même machines, et qui étaient ensuite croisées. Cela a été très difficile, même pour les acteurs qui n’étaient plus habitués à supporter une aussi forte illumination.

Vous dites vous être inspiré dans Suspiria de Blanche-neige et les sept nains de Walt Disney. En quoi votre film est-il une fable ?

C’est une fable : il y a une petite fille qui va à l’école où elle découvre que ses maîtresses sont des sorcières. Ce sont des pensées que font tous les enfants à l’école. En ce sens, il s’agit d’une fable, avec l’ogre, l’homme méchant, la chauve-souris géante, les vers qui tombent du plafond, les peurs infantiles, les longs couloirs, les hautes portes…

Les premières douze minutes de Suspiria sont parmi les plus belles séquences du cinéma italien : pouvons-nous en faire l’analyse ?

Je voulais réaliser un début qui puisse avoir la durée d’un film. Toutes les deux ou trois minutes, c’est comme monter une marche. L’action est un peu plus forte, puis on monte une autre marche, et c’est encore plus fort. La jeune fille est à l’aéroport, les portes ne s’ouvrent pas, l’anxiété, les taxis n’arrivent pas. Quand la jeune fille monte dans le taxi, le chauffeur ne lui répond pas, il pleut à verse. Elle arrive à l’école, une voix étrange la chasse en pleine nuit, en Allemagne, dans un pays qu’elle ne connaît pas. Une autre jeune fille sort de l’école, on commence à la suivre dans un bois. Elle arrive dans un palais. Une construction très étrange que nous voyons d’abord se reflèter dans l’eau et ensuite sur l’écran. Elle va chez une amie qui ne la croit évidemment pas. Et nous montons tout de suite une marche. Dedans, il y a le monstre, qui la capture et la tue. Tout semble terminé, mais cela n’est pas vrai, elle se précipite à travers le vitrail et le verre brisé tue aussi son amie.

Parmi vos films, quel est celui qui a eu le tournage le plus long ?

Suspiria, quatorze semaines. Mais c’est aussi celui où j’ai utilisé le moins de pellicules, dix huit milles mètres, et qui a été monté en moins de temps, deux semaines.

Quel film a eu le plus gros budget ?

Les budgets plus ou moins s’équivalent. Si vous considérez que L’oiseau au plumage de cristal a coûté 400 millions de lires et Non ho sonno 3,5 milliards, mais qu’entre-temps il y a eut l’inflation, alors ces deux films ont eu le même budget. Il est probable que Profondo rosso, Suspiria et Inferno aient coûté un peu plus cher, mais cela se voit sur l’écran...

Vous dites vous être inspiré à l’histoire des trois mères DeQuincey pour Inferno. Dans vos films, il y a souvent des références littéraires, le roman gothique anglais... Qu’est-ce que vous essayez de mettre ?

C’était l’époque des roman gothique anglais, mais aussi des Mémoires philosophales de Fulcanelli, l’un des plus grands experts d’alchimie. Il examine les cathédrales gothiques françaises et il voit tout ce qui est caché dans ces cathédrales. Elles sont construites par les alchimistes et sont donc pleines de secrets. L’alchimie me passionnait, tout comme ce côté mystérieux de la vie que personne ne réussit à expliquer. Les alchimistes ont tenté de l’expliquer, ou plutôt ils ont essayé mais savait que l’expliquer était trop dangereux. Il racontait par énigmes, avec des chiffres qui ensuite étaient cachés : combien de statues y-a-t-il ? Pourquoi la porte de l’église se trouve à l’est ? C’est très complexe.La structure du scénario d’Inferno a été influencée par les théories alchimistes ?Il y a des secrets sous la porte. Il y a le livre mystérieux qui raconte les mystères mais ne les dévoilent pas. Il y a les maisons à l’intérieur des maisons.Quand le film est sorti, on m’a dit qu’il était incompréhensible. Les Anglais ont été les premiers à comprendre le film, c’est eux qui ont écrit les meilleures critiques. Ils ont compris mon goût du mystère.

Dans Inferno, il y a des effets spéciaux qui ont été réalisé par Mario Bava…

Il a réalisé quelques effets dans le film, par gentillesse, et parce que son fils était mon assistant. Nous étions aussi devenu amis. Nous avons reconstruit une partie de la façade de la maison de New York, dans un champs très vaste auprès de Rome. Bava a commandé un cristal immense. Il l’a monté à une certaine distance, et il a commencé à y monter dessus ce qu’il manquait du palais, les fonds, les profondeurs. C’était magnifique. Puis il a réalisé le final avec la mort qui apparaît, disparaît, apparaît. A l’époque, l’électronique n’existait pas, il fallait donc utiliser les surimpressions, les fonds bleus…

D’où vous viennent vos idées de plans, comment les créez-vous cinématographiquement ?

Je dessine, j’écris, je décris aussi. Parfois, quand les plans sont très complexes, je ne dessine pas, mais je les décris minutieusement, j’écris ce que doit faire la caméra, l’objectif choisi...

Tenebrae est un film très lumineux, il se déroule en plein jour, sous le soleil, dans une ville moderne : pourquoi ce choix ?

Tenebrae était un film joyeux, après le sombre Inferno. Le titre était provocant : Tenebrae est un film lumineux. J’ai aussi tenté de raconter le contraire des films que j’avais réalisé jusque là : ici on voit tout, la lumière, les maisons sont toutes illuminées, rien n’est caché. On voit tout : la jeune fille court dans une série de jardins, et on voit jusqu’à un kilomètre derrière elle, il n’ y a pas de coins sombres.

Parlez-moi de la louma...

Je voulais un plan qui réunisse deux personnages, qui se trouvaient en deux points différents d’une même maison. Elle devenait une prison de laquelle, les deux personnages ne pouvaient pas sortir. J’ai demandé à Tovoli : “Comment pouvons-nous la réaliser ?”. Il avait à peine terminé un film en France et il m’a répondu : “Il y a un appareil qui s’appelle Louma, c’est un système parfait avec contrôle sur moniteur”. Nous avons fait venir de Paris un technicien qui savait faire fonctionner la louma et nous avons tourné la scène en une nuit.

Phenomena est votre premier film avec le scénariste Franco Ferrini. Depuis il a collaboré à tous vos scénarios…

J’étais seul à Rome en plein été, Ferrini m’a téléphoné et m’a dit qu’il était en train de collaborer avec Sergio Leone, qui lui avait donné mon numéro de téléphone. Par respect envers Sergio, j’ai accepté de le rencontrer. Cela faisait un mois que je pensais à Phenomena, je ne m’habillais pas le matin, j’étais toujours en slip... Quand j'ai ouvert la porte, son apparence m’a surpris, il tout petit. Il m’a intéressé physiquement, car il était drôle. En parlant avec lui, je l’ai trouvé cultivé. Ferrini respectait mes idées et je lui ai raconté mon histoire : une jeune fille qui avait le pouvoir de communiquer avec les animaux. Elle lui a beaucoup plu. J’ai téléphoné à un enthomologiste, nous avons pris un rendez-vous et quelques jours plus tard, nous sommes allé le voir. C’est ainsi qu’a commencé notre collaboration.

Il y a toujours beaucoup d’animaux dans vos films: des corbeaux dans Opéra, un lézard à la fin du film, des chauves-souris, des araignées et des souris dans le Fantome de l’Opéra, des vers dans Suspiria et Phenomena, des chats dans Inferno, des mouches dans Phenomena...

J’aime beaucoup les animaux, il y en a beaucoup... Dans Phenomena, je voulais raconter une histoire où les insectes, ces animaux dont on ne parle jamais, sont respectés.

Dans ce film, pour la première fois, Sergio Stivaletti travaille avec vous : quel a été son apport à votre cinéma ?

Il était très jeune et provenait d’une dynastie de dentistes. Tout petit, il utilisait la pâte qu’emploie les dentistes pour faire des calques aux dents, et il faisait des calques pour réaliser de petites sculptures, il était devenu très habile. Il avait entendu dire que j’avais besoin d’une luciole. Je cherchais quelqu’un qui puisse en réaliser une que je puisse filmer de près. Il est venu me voir. Il avait fait une luciole qui bougeait, sa lumière avait le bon rythme, mais elle ressemblait à un jouet pour enfant. Il m’a fait voir d’autres choses, de petits animaux. C’était bien fait. Il était très précis. Puis il a réalisé le monstre de Phenomena...

Comment est née l’idée des aiguilles sous les yeux dans Opéra ?

Je me suis rendu compte en allant au cinéma que le public fermait les yeux pendant les scènes de meurtre. Ce sont celles que je soigne davantage, qui m’intéressent le plus. Alors, en rentrant chez moi, je pensais à un système pour que les yeux des spectateurs restent grands ouverts : il faudrait de petites décharges électriques. Mais avec une décharge électrique, les yeux s’ouvraient et se refermaient aussitôt. Il fallait trouver un système pour que les yeux des spectateurs restent grands ouverts. C’est ainsi que j’ai pensé à ce système avec les aiguilles.. Cela aurait permis aux spectateurs de voir les meurtres…Ca donne envie d’aller voir vos films…

C’est un film très froid, il n’y a pas d’amour.

C’était l’époque du SIDA, on avait tous peur de faire cette chose, la plus belle du monde. Il n’y a personne qui a envie de faire l’amour dans Opéra.

Il y a toujours dans vos films un jeu sado-masochiste entre le bourreau et la victime. Mais dans Opéra cela arrive à son paroxysme. Dans vos films, le rapport bourreau-victime est toujours érotique ?

Inconsciemment parfois.. A mesure que j’avance dans le film, se développe le soi-disant rapport entre l’homme maléfique et les personnes gentilles, comme dans les fables sinistres. Ce sont souvent comme des récits pour enfants avec les Sorcières, la mère méchante.

La caméra subjective des corbeaux m’a beaucoup impressionnée. Comment a-t-elle été réalisée ?

Un ingénieur a conçu une machine qui avait diverses fonctions : monter et descendre, se déplacer à droite, à gauche… Elle avait une forme en T, et descendait du plafond. Dans les théâtres, il y a un trou au plafond qui donne sur l’extérieur. Nous utilisions ce trou, pour descendre notre structure : un tube, au bout duquel il y avait un bras d’environ deux mètres, et la caméra glissait le long de ce bras. Elle était manœuvrée à distance. Elle descendait, arrivait jusque sur la tête des spectateurs, et puis elle remontait, elle redescendait...

Vous utilisez beaucoup la caméra subjective : dans le thriller, elle sert-elle a souligner l’angoisse, ou est-ce pour une autre raison ?

La caméra subjective me permet de me rapprocher des personnages. Parfois c’est moi-même. C’est l’auteur qui bouge, regarde, voit. Parfois c’est le regard de l’assassin qui présent en nous.

Vous faites aussi souvent voir l’œil de l’assassin.

Oui, c’est aussi son œil qui est en train de regarder.

Vous avez aussi fait de la télévision…

Je ne suis pas tout à fait satisfait des premiers téléfilms que j’ai réalisé pour la télévision en1973. Cela m’a permis néanmoins de me faire connaître du grand public. La seconde fois, en revanche, je parlais dans une émission télévisée de cinéma d’horreur, fantastique, de musique, je présentais des extraits de vieux films... Je parlais, je racontais, je rencontrais aussi des personnes. J’ai fait venir Anthony Perkins des Etats-Unis. J’ai réalisé une interview avec les Pink Floyd. J’expliquais les trucs et les effets spéciaux de mes films. C’était éducatif. En outre, chaque semaine je présentais mes cauchemars, “Gli incubi di Dario Argento”, qui duraient 2 minutes, 3 minutes. C’étaient de petites histoires féroces.

Après vous avez réalisé Deux Yeux Maléfiques...

J’étais allé en Amérique où, avec mes amis John Carpenter, Stephen King et George Romero, nous avons eu l’idée de tourner un film en quatre épisodes de vingt-cinq minutes chacun, des adaptations de nouvelles d’Edgar Allan Poe. Stephen King était à l’origine du projet, il se retira sous conseil de sa femme qui pensait qu’il ne devait pas faire le réalisateur. John Carpenter s’est retiré du projet car il était malade. Pour conclure, nous l’avons réalisé George Romero et moi, avec chacun plus de temps à disposition : les épisodes s’étant réduits à deux, ils faisaient chacun une heure. J’ai tourné l’épisode Le chat noir.

Vers la fin des années 70, vous avez produit Zombi de Romero. Vous avez ensuite produit des films de Michele Soavi, Lamberto Bava, Sergio Stivaletti et maintenant Scarlet Diva de votre fille. Pourquoi avez-vous éprouvé la nécessité d’être aussi producteur ?

C’est une énergie que j’ai. Le plaisir de faire beaucoup de choses, d’encourager les autres. Puis un producteur, qui est aussi réalisateur est meilleur, car il comprend davantage les exigences du réalisateur.

Ensuite vous avez réalisé Trauma, votre premier film avec votre fille Asia...

Je l’ai écrit pour elle. J’avais une nièce qui souffrait d’anorexie et je voulais comprendre cette maladie. A cette époque, on n’en parlait pas beaucoup. Maintenant tous les journaux ou les magazines féminins parlent du problème croissant de l’anorexie chez les adolescentes. Quand j’en ai parlé avec T.E.D Klein (scénariste de Trauma), qui a été le directeur de la revue américaine Twilight Zone et qui a écrit Ceremonies, il ne comprenait pas cette maladie. Elle refusait de l’écrire. Puis une enquête sur l’anorexie a été publiée sur une revue américaine, T.E.D Klein l’a lu et a donc changé d’idée.

Trauma est un film américain : pourquoi avoir choisi de le réaliser en Amérique et non pas en Italie ?

Parce que j’en ai eu l’idée en Amérique, et puis il y avait un coproducteur américain, et pour ce motif, j’ai décidé de le tourner en Amérique. Mais la protagoniste est roumaine, donc c’est une européenne, Les femmes roumaines sont les médiums les plus célèbres au monde, elles sont très douées.

Le syndrome de Stendhal naît de votre passion pour la peinture ?

Non, pas seulement. Sur un quotidien italien, pendant que j’étais à New York, j’ai lu la critique d’un livre de la psychiatre Graziella Magherini, Le syndrome de Stendhal. Les personnes affectés par cette maladie perdent l’équilibre, ont la tête qui tourne... Parfois ils peuvent même avoir des hallucinations. Après quelques années, j’ai décidé d’en faire un film.

Comment avez-vous élaboré avec Giuseppe Rotunno, le directeur de la photographie, le langage lumineux des séquences picturales ?

J’ai choisi Rotunno, parce qu’il a réalisé un documentaire célèbre sur le musée du Prado, et ayant travaillé pendant longtemps au Prado, il avait compris comment filmer les tableaux. Filmer un tableau est l’une des choses les plus difficile qui soit. Il y a des directeurs de la photographie qui ne savent pas les filmer, et peuvent mettre plus d’une heure à illuminer un petit cadre, parce que selon l’endroit où vous placez la lumière, la lumière et les couleurs du tableau changent... Rottuno avait étudié ce problème. Il ne faut pas les filmer avec les lumières habituelles, mais il faut utiliser des lumières froides, ainsi elles ne chauffent pas le tableau et ne l’abime pas. En effet dans les musées on ne peux pas utiliser les flashs. Les lumières froides donnent une couleur dissérente, elles doivent donc être traitées. C’est un travail complexe.

C’est un autre film pour votre fille Asia…

Oui, mais c’était une période où je travaillais avec des actrices très jeunes, j’ai commencé avec Suspiria, puis j’ai continué avec Phenomena, Opera, Trauma, et Le Syndrome de Stendhal… Elles évoquent la "Vierge de lait et de sang" de la littérature gothique, et puis elles ont toujours un problème pschychique… J’aime les personnes qui ont des problèmes. Je connaissais bien l’anorexie… Les psychologies des personnes perturbées sont toujours intéressantes.

Dans ce film, Morricone a composé la musique. Il s’est inspiré à la Passacaille espagnole…Pourquoi avez-vous à nouveau contacté Morricone ?

Je venais de finir d’écrire le scénario, et j’ai rencontré Morricone. Il m’a dit qu’il aurait aimé composer la musique de mon prochain film. Je lui ai donné le scénario, il l’a lu et m’a dit : “J’ai une idée exceptionnelle, une chose qui ne s’est jamais utilisé au cinéma auparavant, la Passacaille espagnole, tu peux lire le thème dans un sens ou dans l’autre, c’est toujours la même musique"...

Pourquoi avez-vous choisi d’adapter Le fantome de l’Opéra ?

La version couleur du Fantôme de l’Opéra, avec Claude Rains, est le premier film d’horreur de ma vie. J’étais en vacances avec mon frère, sur les Dolomites, et nous sommes allés dans un cinéma qui projetait de vieux films.

Le personnage du Fantôme n’est pas monstrueux. Pourquoi ce choix ?

Nous avons vu tant de choses monstrueuses, de visages hideux. Le Fantôme vit dans les sous-sols de l’Opéra, sans être monstrueux, parce qu’il l’a choisit. C’est un être étrange, qui ignore qui il est.

Pourquoi avez-vous choisi de reproduire certains tableaux de Georges De La Tour ?

Pendant l’écriture du film, Gérard Brach avait parfois la nécessité d’être seul un jour ou deux pour écrire une séquence… J’avais donc du temps libre, je me promenais dans Paris. J’allais souvent à la librairie de l’Opéra. Un jour, j’ai été à l’exposition de l’œuvre de Georges De La Tour. J’étais bouleversé. Ses essais sur la lumière me fascinait. J’ai acheté trois ou quatre livres sur De La Tour, j’en ai expédié un à Ronnie Taylor. Pour chaque scène importante, je lui demandais de se refèrer à un tableau. Dans les grottes, nous avons utilisé des rats, des araignées, des salamandres… Mais les grottes sont obscures, les animaux disparaissent. Il faisait très froid, je ne crois pas qu’ils aient survécu.

Le sang des innocents a représenté pour de nombreux critiques votre retour au thriller classique…

Je voulais réaliser un giallo. J’aime le raisonnement mathématique. J’ai commencé à l’écrire seul, puis est venu Franco Ferrini, puis finalement l’écrivain de giallo Carlo Lucarelli.

Pourquoi avez-vous intitulé votre thriller Non ho sonno ?

Pour deux raisons : la première est que l’assassin n’a jamais sommeil. La seconde est que la phrase : “J’ai pas sommeil” est souvent prononcée par les enfants, quand on les envoie se coucher. Ainsi la mère ou la grand-mère leur raconte une fable. Je le faisais aussi quand j’étais petit. Les enfants disent souvent : “J’ai pas sommeil” pour que les grands leurs racontent une histoire. J’ai intitulé ainsi mon film car il s’agit d’une fable.

La séquence du train est extraordinaire. Elle évoque un cinéma expérimental…

Je savais que cette scène n’était pas facile à tourner. Ronnie Taylor m’a dit : “Certes, c’est difficile. Pour les réaliser d’ordinaire, on construit un wagon, et on le monte sur des ressorts. Autour on fait passer un fond bleu”. Nous avons vu tous les films où il y avait des trains. Ronnie Taylor avait raison, ils sont toujours reconstruits en studio. Pour Ronnie, on ne pouvait pas tourner dans un train véritable. Comment pouvait-on installer nos lumières ? Comment pouvait-on installer un travelling ? On a utilisé une sorte de sac à dos. La caméra était fixée sur les épaules, avec l’objectif vers le haut. Pour tourner cette séquence, le caméraman devait se baisser à moitié, la caméra se mettait à plat et l’objectif cadrait l’actrice. Le caméraman devait ainsi courir derrière l’actrice. Nous avons tourné d’autres plans avec la steadycam.

Dans ce film, il y a de nombreuses citations. Est-ce voulu ?

Le sang des innocents est mon retour au thriller. J’ai donc cité de nombreux thrillers. La critique peu attentive ne les a peut-être pas vu. Mais il y a plusieurs citations de L’oiseau au plumage de cristal, de Tenebrae, de Profondo rosso… Ce film devait inaugurer une nouvelle trilogie. Je suis en train de terminer la préparation du second Occhiali scuri, un autre thriller qui se déroule entre Venise et Turin. Les acteurs seront Vincent Gallo et Asia Argento. J’aimerais que la musique soit à nouveau composée par les Goblin. Elle est belle la musique de Non ho sonno, non ?

Propos recueillis par Gabrielle Lucantonio pour Mad Movies (2002)