mercredi 6 février 2008

Vincent Gallo

Vincent, j'aurais pu le connaître à travers Jim [Jarmusch] parce qu'ils habitaient la même rue à New York. Mais la rencontre s'est faite autrement. Je faisais un moyen métrage à New York et je cherchais des personnages. Quelqu'un m'a dit que je devrais rencontrer ce gars-là. Et Vincent est arrivé... Il était peintre, il vendait des guitares de collection, il traversait les Etats-Unis dans sa Toyota pour acheter des guitares, il était musicien, c'était déjà quelqu'un de complet. Quand on lit ses interviews on peut parfois être horrifié, mais Vincent a fait le choix d'être un artiste, quel que soit le prix à payer, y compris celui d'être haïssable.
Quand on rencontre Vincent, qu'on le côtoie un peu, qu'on voit ses choix, quand on sait qu'il est parti très jeune en Italie pour voir la peinture italienne et essayer de rencontrer Pasolini, il est clair qu'il a toujours eu cette exigence. Cette exigence est parfois masquée sous des torrents d'injures, mais elle est absolue. Dans The Brown Bunny, quand tu vois chaque geste du personnage, tu te rends compte que chaque chose doit être faite jusqu'au bout. Durant la projection à Cannes, c'était très dur, j'avais les boyaux fracassés, j'avais peur pour lui. Dans le film, les rencontres avec les femmes, c'est pas la drague, c'est une quête, une quête qui n'est pas médiocre.
Plutôt que d'être moyen ou bon, Vincent préfère être totalement détesté. Il ne veut jamais être dans la moyenne. Un jour, à New York, il refaisait le sol de son appartement. Il y avait des petits défauts alors il avait cassé le plancher, et jour et nuit il refaisait tout ! C'est peut-être de la maniaquerie obsessionnelle, mais il n'y a pas de lamentations chez lui : il casse et il refait. Et après huit jours de travail, il était exsangue, mais le sol était parfait. Sur cette base-là, il pouvait essayer de faire un disque ou un film parfait. Si le sol n'était pas parfait, c'était pour lui un début de renoncement. A ses yeux, rien n'est au-dessus de la démarche artistique, pas même l'amour.

Claire Denis, propos recueillis par Serge Kaganski, les inrockuptibles n°436 du 7 au 13 avril 2004.

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