Ça vous a surpris de voir Suspiria présenté dans sa version restaurée au festival de Cannes ?
J’ai eu une grande joie lorsque le festival m’a téléphoné pour annoncer la nouvelle alors que je travaillais sur mon dernier film, La troisième mère. Je me souviens même avoir beaucoup ri.
Vous l’avez revu hier ?
Oui (il esquisse un sourire énigmatique).
Qu’est-ce que vous en avez pensé ?
Pour être franc, j’ai été emballé. Non seulement par le travail de restauration mais aussi par l’accueil bienveillant. La première chose que je me suis dit en sortant, c’est que je n’aurais strictement rien touché si j’avais dû le réaliser aujourd’hui. C’est d’autant plus amusant que certains producteurs essayent actuellement de monter le remake du film. Je pense qu’il est possible d’en faire un même si je continue de trouver Suspiria complexe. Tout ce que je peux dire, c’est que ça ne sera pas facile. C’est le même phénomène sur tous mes films que j’ai l’occasion de revoir. Lorsque je les regarde aujourd’hui, je ne suis plus très surpris, je les dissèque comme un entomologiste disséquerait des insectes. Pour la nouvelle copie, je voulais à tout prix que les couleurs soient retravaillées afin de récréer cette impression de contrastes. Je désirais également ne pas en dénaturer l’esprit en ajoutant des effets. A l’époque, je me souviens avoir lutté pour réaliser un film comme celui-ci et je tenais à ce qu’il ressemble à ça. Et rien d’autre. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. La vraie raison, c’est que je ne revois pas mes films. Quand il est achevé, il appartient au spectateur. Je n’ai plus de regard à apporter. Chaque film ressemble à un chapitre et je ne fais que tourner des pages. J’ai souvent des amis qui me disent qu’ils viennent de revoir l’un de mes films à la télévision. Récemment, c’était le cas de Phenomena. A force, ils finissent par mieux le connaître que moi. En revanche, je prends toujours plaisir à revoir les œuvres des autres, de Romero notamment. Quand je l’ai revu hier, je me suis impressionné en me remémorant soudainement l’état dans lequel j’avais tourné ça. Le pouvoir de ma mémoire a tout éclaboussé.
Est-ce que vous avez été tenté d’utiliser des scènes coupées pour la nouvelle version ?
A l’époque, je ne coupais rien. Je préférais mourir plutôt que couper. Cela ne signifiait évidemment pas que j’avais une totale liberté. Je me rappelle qu’à chaque fois que je terminais un film, il allait immédiatement au bureau de censure pour que les censeurs le triturent. Ils voulaient soit interdire soit couper. Et rien d’autre. Comme j’étais rebelle, je refusais tout compromis et je préférais à la rigueur qu’ils m’interdisent. J’ai trouvé cette pratique inacceptable. En Italie, on n’avait pas la liberté de faire un film. Il faut arrêter de croire que le cinéma a quelque chose de scandaleux. Imaginez un peu qu’on interrompe un rêve ou un cauchemar. Les premiers spectateurs savaient très bien ce qu’ils allaient voir. Ils admiraient et réclamaient un cinéma surréaliste. Pour moi, Suspiria se situe hors du réel, ne serait-ce que par son rythme dilaté. J’ai toujours voulu faire des films qui collent ou reflètent ce qui se passe dans mon subconscient. C’est pour ça que les gens m’ont toujours considéré comme un fou. Personnellement, je considérais ça comme un don de pouvoir explorer mes rêves et mes souvenirs. Sans doute, je cherchais à donner une réponse à mes cauchemars. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de très normal. A l’époque, j’avais une technique déroutante qui s’approchait de l’écriture inconsciente en évitant de penser en amont aux scènes que j’allais tourner. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’instinct: je pense une scène sur le moment et je la réalise aussitôt. Comme si j’étais possédé par un ange noir qui m’ordonne de tourner cette projection.
Les spectateurs l’ont immédiatement adopté ?
J’ai reçu un bon accueil partout où je présentais le film. Notamment en France; et, c’est pour cette raison que ça m’a fait chaud au cœur de venir le présenter trente ans après sa sortie. Le film a coûté très cher, l’argent du budget est quasi-intégralement passé dans les effets spéciaux. Je ne sais pas si j’aurais ramé autant si j’avais eu l’opportunité de réaliser ce film aujourd’hui aux Etats-Unis. Les films d’horreur qui sortent là-bas sont souvent de très bonne qualité. J’ai participé aux épisodes des Masters of Horror et j’étais le seul à ne pas être américain. Apparemment, Jenifer aurait été le dvd de la première saison le plus vendu de l’année. Ce que je retiens de cette expérience, c’est une liberté paradoxale. Les producteurs avaient suffisamment d’argent pour me laisser faire ce que je voulais. Je n’avais pas de contrainte. J’ai été accueilli comme un prince.
Avant de réaliser Suspiria, vous aviez beaucoup voyagé pour stimuler votre imagination.
Avec Daria Nicolodi, nous sommes allés aux quatre coins de l’Europe pour nous imprégner des lieux, en France, en Allemagne. Et, surtout, rencontrer des ésotéristes, des soi disantes sorcières, des magiciens fous. Nous étions comme des enfants qui écoutaient des histoires à l’école. Rien n’était réel dans tout ce qu’ils nous racontaient mais ça nous fascinait. Vous êtes toujours fasciné par le mythe de l’alchimiste? J’aime beaucoup l’idée que l’on puisse changer la réalité. Les cathédrales ésotériques de Fulcanelli étaient une référence majeure pour le suivant Inferno. Dans Les trois mères, il y a des restes de ces sciences occultes et de références alchimiques.
Vous avez immédiatement voulu faire une trilogie autour des trois mères ?
Non. Je me suis essentiellement renseigné après Suspiria sur l’histoire des Trois mères. J’ai réalisé Inferno ; et, ensuite, j’ai attendu longtemps avant de mettre en scène le troisième épisode. Cette attente est essentiellement due à cause du casting car je voulais absolument qu’Asia en fasse partie. Depuis qu’elle est enfant, Asia est habituée à mes films. Loin d’être traumatisée, elle me félicite quand je réussis à provoquer une sensation viscérale.
Vous retrouvez Udo Kier dans Les trois mères. Est-ce que le rôle sera proche de celui qu’il jouait dans Suspiria ?
Non. Dans Les trois mères, il incarne un prêtre exorciste. Cette corrélation est très belle. Il a une classe inouïe avec ses yeux bleus et son visage atypique. Je l’ai suivi tout le long de sa carrière jusque dans ses prestations dans les films de Lars Von Trier. Je l’ai connu en Italie alors qu’il tournait sous la direction de Paul Morrissey et Andy Warhol. Nous nous sommes revus en Allemagne quelques années plus tard et nous avons noué une amitié. Dans Suspiria, il y a par ailleurs une référence à l’expressionnisme avec la présence de l’acteur Rudolf Schündler qui avait joué dans Le Testament du Docteur Mabuse, de Fritz Lang. C’était un grand honneur de l’avoir dans mon film. J’ai toujours été fasciné par cette mouvance esthétique. Que ce soit le metteur en scène, la photo ou les acteurs, ils évoluaient tous dans une époque fantastique voire fantasmée. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à réaliser Suspiria en Allemagne.
Parmi vos influences, vous citez souvent L’année dernière à Marienbad, d’Alain Resnais. Ce film continue de vous hanter ?
C’est certainement le plus beau film que j’ai vu de ma vie et il le restera encore longtemps. C’était l’une des premières fois où je voyais au cinéma la représentation parfaite de ce qui se passe dans l’inconscient et le rêve. J’ai toujours construit mes films comme des rêves, peut-être sous l’influence de Resnais. Peut-être pas. A chaque fois que je le revois, j’en ai la chair de poule.
Propos recueillis par Romain Le Vern pour dvdrama à Cannes, mai 2007
lundi 4 février 2008
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