Le remake de Dark Water, par Walter Salles, vient de sortir en France. Avez-vous eu, à un moment ou à un autre, l’opportunité de le réaliser ?
Pas vraiment. Je suis allé voir les producteurs, et j’ai lu le scénario. A un moment ils étaient intéressés pour m’avoir en tant que réalisateur. Nous avons parlé du choix de l’actrice principale, et j’ai dit: "Jennifer Connelly, il faut que ce soit elle!" (rires). Après m’avoir rencontré, ils ont ensuite vu Walter Salles, et l’ont finalement choisi. Ils m’ont expliqué qu’ils aimaient tant mon film, qu’ils ne voulaient pas modifier le scénario, et que j’aurais, du coup, l’impression de me répéter. Voilà ce qui s’est passé, et nous en sommes restés là.
Avez-vous vu le film, ainsi que l’autre remake réalisé à partir de Ring par Gore Verbinski, Le Cercle ?
J’ai vu Le Cercle, et j’ai beaucoup aimé. Il y a quelques petites choses un peu trop similaires mais je sentais que le film allait avoir le succès qu’il a d’ailleurs remporté aux Etats-Unis et ailleurs. Parce que Gore a su recréer ce sentiment d’inquiétude, cette atmosphère. J’ai quelques réserves sur Samara, le fantôme, mais j’aime son traitement de l’histoire. Je pensais vraiment que ça allait marcher. Il y a une scène que j’aime plus particulièrement, qui est, à vrai dire, ma préférée, c’est celle de la traversée en ferry vers l’île. Naomi Watts s’approche du cheval, qui devient fou, part au galop, et finit par se suicider. Cette scène m’intéresse parce qu’elle a quelque chose de bizarre, d’étrange, qu’elle n’est pas naturelle. C’est quelque chose qui ne devrait pas arriver, et ce passage parvient à capturer ce sentiment de malédiction, un symbole annonçant ce qui va arriver sur l’île. Gore a apporté un vrai soin à cette scène, qu’il a tournée en une semaine, là où je n’aurais passé que deux heures dessus (rires). La seule chose qui me pose problème, c’est que l’histoire est sensée se dérouler sur sept jours, avec une véritable notion de compte à rebours. Pour moi il y a un problème de rythme, on ne sent pas vraiment le temps s’écouler, ce qui était important car il est question de survie, et de la tension que cette quête implique. Les deux derniers jours sont très longs là où, selon moi, le film aurait dû aller de plus en plus vite, et il ne faut pas que le public perde de vue cette idée de temps qui presse. Pour ce qui est de Dark Water, je l’ai vu il y a quelques temps. Walter est un véritable artiste, et il aime vraiment la réalité. C'est-à-dire qu’il y a une approche très réaliste dans le film. J’aime la prestation de Jennifer Connelly, j’aime la relation qu’elle entretient avec sa fille, et le décor était particulièrement bien choisi. Pour moi, le problème vient du fantôme. En effet le fantôme de la petite fille ne ressemble pas tellement à un fantôme, juste à une petite fille (rires). Je comprends cette approche, qui veut que le fantôme ait quelque chose de très humain, banal, mais dans le genre horrifique, il faut faire avec des événements surnaturels, faire appel à l’imaginaire, c’est un équilibre qui manque dans le traitement de ce fantôme-là. Mais j’ai aimé l’atmosphère, la photographie…
Dark Water est un film qui traite de la maternité, avec notamment l’eau comme un symbole féminin fort. Avez-vous jamais envisagé que cette histoire puisse être racontée d’un point de vue masculin, est-ce qu’un film traitant de la paternité aurait été complètement différent ?
Alors effectivement ça aurait été parfaitement possible. Mais dans le genre de l’horreur, ce n’est pas une véritable règle, mais si vous avez d’un côté une mère célibataire et son enfant, un père célibataire et son enfant, et en face, le fantôme d’une petite fille, à la recherche de quelqu’un… Vous savez, je ne veux pas être sexiste, mais généralement, le public pensera que le père pourra protéger son enfant contre une puissance surnaturelle, là où la mère sera plus vulnérable, exposée. Ça peut paraître un peu misogyne mais je pense que c’est une réaction naturelle de la part du public. Et puis quand il s’agira d’un fantôme adulte, il ne faudra pas qu’on croit qu’il est là pour séduire le père (rires). Bref, ce n’est pas une règle mais c’est ainsi qu’on a voulu procéder.
En voyant Dark Water, il y a des éléments qui rappellent le cinéma de Mizoguchi, ses thèmes ou ses figures. Le personnage féminin fort, sa souffrance et sa solitude dans un univers très masculin voire macho, le contexte social difficile, le ton tragique apporté à l’histoire.
Quand j’étais cinéphile, plus jeune, un peu comme vous, Mizoguchi était mon héros. J’adore sa façon de peindre des personnages qui se battent pour leur survie, appartenant souvent aux classes les plus basses de la société, comme ses personnages de prostituées. Je pense que tout cela a à voir avec son background personnel. Il a été élevé par sa sœur, qui était également geisha je crois, il connaissait les gens dont il a parlé ensuite. J’étais différent. Ma mère était institutrice, et j’ai été élevé seulement par elle, ainsi que ma grand-mère. Je n’ai écrit ni Ring ni Dark Water, mais étrangement on y retrouve des personnages féminins forts qui sont des mères célibataires. Je ne dis pas qu’il s’agit de ma mère dans ces films, mais dans le traitement, il doit y avoir des points communs apportés de façon inconsciente. C’est une très bonne remarque en fait, pour moi des réalisateurs comme Mizoguchi, Naruse, ce sont des géants. Et mes films peuvent sembler complètement différents. Mais… vous vous souvenez de l’épilogue de Dark Water ?
Oui, lorsque la lycéenne revient dans son ancien appartement…
…et elle avance, puis se retourne, est sur le point de partir, et elle entend le bruit d’une goutte d’eau. Elle se retourne, et voit le fantôme de sa mère. Et elles commencent une conversation. En filmant cette histoire, et ce passage, j’ai pensé aux Contes de la lune vague après la pluie. Vous vous souvenez de la partie finale, où l’homme rentre chez lui, et voit son épouse qui tient, dans ses bras, leur enfant. Il court pour annoncer son retour dans le village, la caméra effectue un mouvement à 360°, et quand il revient dans sa maison, sa femme a disparu car elle n’est plus qu’un fantôme, après avoir été assassinée par des soldats, sur la route. Vous savez, c’est une technique très simple, Kinuyo Tanaka, l’actrice qui interprète la mère, s’est juste cachée au moment voulu (rires). L’émotion du fantôme est là, puis disparaît, simplement. Dans Dark Water, c’est une sorte d’hommage. A vrai dire je n’ose pas penser à Mizoguchi car c’est vraiment quelqu’un de trop grand pour moi. Mais ça reste une remarque très juste ! (rires)
La plupart des vieux films de fantômes japonais sont souvent des contes moraux, avec un pécheur et son châtiment, le tout situé dans un Japon rural. Aujourd’hui le décor est beaucoup plus urbain, le fantôme est high-tech (il sort de la télévision, se balade sur le net), il exprime un sentiment de solitude… Que pensez-vous de cette évolution, que signifie t-elle selon vous ?
Pour prendre un exemple, avez-vous vu Le Fantôme de Yotsuya, de Nakagawa ? Cette histoire est un conte moral typique, avec un personnage qui cherche à progresser socialement, et qui en vient à tuer sa femme, avant d’être hanté par son fantôme et de finir par se suicider. Aujourd’hui il y a un aspect moral également, dans le personnage de Sadako, qui est une victime et qui a été abandonnée, mais la différence vient du fait que Sadako peut tuer n’importe qui, même des personnages qui n’ont rien à voir avec ce trauma passé. Dans les histoires de fantômes classiques, il y avait une question d’éthique. Aujourd’hui, les jeunes se fichent plus ou moins de cette morale-là, qui est devenue un peu un cliché, avec ces histoires de vengeance répétées à l’infini. L’idée, dans l’approche moderne du genre, est d’impliquer davantage le public. J’avais envie qu’il se demande ce qui se passerait s’il voyait la vidéo maudite. La télévision, le magnétoscope, ce sont des choses qui appartiennent tellement au quotidien… Et lorsqu’on éteint la télé, l’écran est noir, mais reflète ton visage si tu te regardes dedans. A priori rien d’anormal mais il fallait créer cette hésitation. Le fait que Sadako puisse tuer n’importe qui a marché sur un jeune public qui n’était plus sensible aux anciennes histoires et leur morale, où les punis étaient des pécheurs. Je suis une bonne personne, mais puis-je être tué par Sadako ? Il y a une différence ici, un sentiment de paranoïa. Mais personnellement, j’aime ces vieilles histoires, peut-être que je n’appartiens pas à la jeune génération (rires).
Sept ans après Ring, comment se porte le cinéma d’horreur japonais, y a-t-il, selon vous, de nouveaux talents ?
J’ai bien peur de ne pas être la bonne personne pour répondre à cette question, car je vis à Hollywood depuis deux-trois ans, et c’est vrai que, là-bas, je n’ai pas tellement vu de films d’horreur japonais. A part celui de Takashi Shimizu. (réalisateur de Ju-on et de son remake américain, The Grudge, ndlr)
Durant cette Carte Blanche, vous avez parlé de l’influence de Nobuo Nakagawa sur votre cinéma. Vous avez choisi des films très divers, quels autres réalisateurs vous influencent-ils le plus ?
Je ne peux pas dire si ce film-là ou ce film-ci m’a influencé dans l’absolu, par contre quand j’ai travaillé sur Chaos, j’ai revu Sueurs froides par exemple. Généralement, mes réalisateurs préférés ont œuvré dans le mélodrame. George Cukor, Max Ophüls, Jean Renoir, François Truffaut, mais je ne sais pas à quel point j’ai été influencé par leur travail. Quand je travaille, que je cherche à obtenir quelque chose en particulier, je vais voir chez Hitchcock, dans La Maison du diable de Robert Wise, Les Innocents de Jack Clayton…
Entretien réalisé par Nicolas Bardot à Paris, le 9 septembre 2005, pour Filmdeculte.
mardi 5 février 2008
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